Faire vivre un art, c’est parler de sa réalité. La pièce de théâtre d’Ornella MAMBA, qu’elle écrit et joue, mise en scène par Valentine COHEN, en donne une parfaite illustration. Pain béni contient scénographiquement un travail fort, qui ressort de la vidéo et de la performance. En effet, derrière la comédienne, durant le tout spectacle, une projection entraîne le spectateur dans une réalité de guerre, d’exploitation d’enfants dans les mines de coltan et de tant d’autres violences humaines qui ont court en République Démocratique du Congo. On est tout de suite pris dans le texte que porte la comédienne Ornelle MAMBA, texte fort, autobiographique, bien structuré en terme de dramaturgie et qui mêle l’intime et le politique, en pointant du doigt la mauvaise gouvernance, la maltraitance des peuples par le système capitaliste, la gravité de la misère initiée par les politiques africaines et largement soutenue par les pays occidentaux… Et tant d’autres fortes émotions que ce texte nous livre et nous fait découvrir. La colère de la comédienne est légitime quand un pays possesseur de la plus grande richesse des matières premières est classé comme pays sous-développé, quand un gouvernement met à l’écart sa population des affaires du pays, quand la base de fonctionnement de la vie (l’autosuffisance alimentaire) est loin d’être atteint. C’est dans une totale liberté, remplie d’énergie et avec une grande force de précision que la comédienne exprime toutes ses émotions et toute sa rage vis à vis des crimes et violences qui se vivent tous les jours dans sa société. Ornella Mamba est poétesse dans ce magnifique texte, très bien servi par la mise en scène de Valentine Cohen. Elle danse, dit, performe et vit ce texte. Cette pièce reste longtemps en mémoire une fois le théâtre fini, car elle permet d’accéder à tout un processus de réveil des consciences, pour tous ceux qui subissent, et un dévoilement de tant de réalités voilées.
ENTRETIEN AVEC ORNELLA MAMBA
Les bruits de Mantsina: Qui est Ornella MAMBA ?
ORNELLA MAMBA: Je suis tout d’abord une mère, comédienne et metteuse en scène, autrice d’origine congolaise kasaïnne.
Les Bruits de Mantsina: Depuis quand faites-vous du théâtre ?
ORNELLA MAMBA: Je suis effectivement sur les planches depuis 2002.
Les Bruits de Mantsina: Comment est né le projet Pain béni ?
ORNELLA MAMBA: Le projet Pain béni est né d’une envie de partager mes manques et mes amours aussi, mes questionnements sur la société humaine. Mais aussi de mon envie de raconter selon moi, par moi et avec moi.
Les Bruits de Mantsina: Pourquoi ce titre Pain béni et quelle est la philosophie de cette pièce, ainsi que son intention ?
ORNELLA MAMBA: Pain béni est un clin d’œil à l’église catholique qui est arrivée avec la « civilisation », où chaque fidèle doit apporter son propre pain pour le faire sanctifier puis partager par le curé. Un peu comme l’histoire du Congo qui produit un peu plus de 50% des matières premières de la planète mais doit les racheter à des prix exorbitant. Il n’y a que ma part de franchise dans Pain béni, je pointe du doigt le mal et je le dénonce. Tout cela vise une prise de conscience à l’égard de tout le monde pour un éventuel réveil.
Les Bruits de Mantsina: Je vois! Il y a une part de revendication, de révélation, de dénonciation dans Pain béni et je suis convaincu qu’on dit et dénonce des choses pour le besoin de les changer. Est-ce que vous avez une espérance qu’un jour cela (la manipulation du système) va changer ?
ORNELLA MAMBA: Oui! Seulement si chacun d’entre nous prenons notre part de responsabilité pour remettre l’humain au monde.
Les Bruits de Mantsina: Par votre franchise, votre message direct, ne vous sentez-vous pas en insécurité ? Si oui, comment faites-vous pour vivre cela ?
ORNELLA MAMBA: Non, je ne me sens pas en insécurité au contraire je suis en confiance totale avec moi et avec l’humain. J’aime l’humain et je crois en lui.
Les Bruits de Mantsina: Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes artistes qui veulent ou qui peuvent se positionner dans votre cadre (artiste engageant) ?
ORNELLA MAMBA: De garder en tête cette citation de John Fitzgerald Kennedy: « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demande-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays ». L’engagement commence quand on sait que si ce n’est pas moi, ce sera personne. Le seul fait de vouloir faire de l’art est déjà un engagement, qu’il faut en effet nourrir chaque jour un peu plus.
Les Bruits de Mantsina: Cette pièce a-t-elle déjà tourné? Et qu’avez-vous ressenti après l’avoir présenté à cette 16eme édition du festival Mantsina-sur-scène?
ORNELLA MAMBA: Seulement sept représentations et la jouer à Mantsina était un moment de grâce. Je ne me suis pas trompée. Nous ne nous sommes pas trompées de direction et surtout que ce n’est pas pour rien qu’on travaille aussi dur. Et j’étais très heureuse de faire partie de cette grande famille Mantsina.
Les Bruits de Mantsina: Un dernier mot de votre part pour finir!
ORNELLA MAMBA : Merci à vous pour l’intérêt. Merci au festival Mantsina et que l’art nous parle.
Propos recueillis par Rodney ZABAKANI, le 19 décembre 2019
Article réalisé dans le cadre de l’atelier Les Bruits de Mantsina 2019