Mantsina 2019: Retours sur « Nous devinmes infranchissables », texte, mise en scène et jeu par Valentine Cohen

Sur scène, l’actrice arrive voilée d’un tissu transparent qui enveloppe tout son corps nu. Au fur et à mesure qu’elle déclame son texte et s’exhibe, elle enlève le tissu exposant ainsi tout son corps nu. Elle prononce alors des paroles intemporelles: «J’ai cinq ans, j’ai quarante ans, j’ai cent ans, j’ai dix mille ans». Ensuite elle s’habille en mettant une grande robe noire en lâchant ses cheveux, et en se nommant «Moïse l’illuminé». Commence alors une remise de cadeaux envers le public, des biscuits, des vêtements à recycler, un cd de rumba congolaise. Elle développe alors un propos tant géopolitique que métaphysique, liant les parties du corps à celles du cosmos. « Tout est dans tout ». Elle interroge le public pour savoir si quelqu’un n’est pas d’accord. Comme personne ne répond, elle déclare donc : «si tel est le cas, si nous sommes tous d’accord, c’est la fin du spectacle». Une personne répond alors qu’elle n’est pas d’accord! Et le spectacle de continuer sur le vie intime de la comédienne, son père, les drogues, le sexe, les révolutions, la domination des hommes sur les femmes. Elle dénonce l’insupportable et relie en permanence l’intérieur et l’extérieur, jusqu’à tout relier au cosmos, à la terre mère.
Allumant des bougies dans les quatre coins de sa scène ainsi qu’au milieu, elle semble nous prouver alors que l’illumination est inhérente à tous, qu’il faut ce passage de l’obscurité à la lumière. Elle dessine des cercles sur papiers et sur le sol, parlant des lois, de la loi. Elle termine la pièce en musique, comme une dervish tourneur, tournant sur elle-même, se parlant tout en parlant au public.
Tout au long du spectacle, des images sont montrées derrière elles, plus ou moins symboliques, comme le cosmos au début du spectacle, plus ou moins érotiques, apportant couleurs et sens.

Nous devinmes infranchissables est une pièce qui m’a beaucoup apportée, je vais essayer d’expliquer pourquoi. D’abord parce que j’y retrouve des grands principes de la philosophie de la vie : l’inséparabilité du corps et de l’esprit, du soi avec l’environnement, du petit monde avec le grand monde, autrement dit le rapport entre le microcosme et le macrocosme. Cette relation d’inclusion mutuelle entre une vie et le reste de l’univers. Ensuite, du point de vue du texte de la pièce, tous ces éléments, du cosmos à la vie intime et politique, sont énoncés de façon éparse, comme des fragments, éparpillés, morcelés, apparemment sans rapport. La pièce est un chaos dans sa structure, c’est un véritable puzzle. Il se trouve que ce chaos de la pièce est celui du monde dans lequel nous sommes tous plongés et qui existe en chacun de nous. Ce chaos équivaut à l’obscurité, inhérente au monde, aussi bien qu’en chacun de nous-mêmes. Alors reconstituer ce puzzle, c’est prendre conscience de notre relation naturelle avec le cosmos, pour y découvrir le potentiel illimité inhérent à nos vies. Cette réalisation de soi nous permet de briser les chaînes de la domination, de la manipulation ou de la machination dont nous sommes le plus souvent victimes sur le plan collectif comme sur le plan individuel. C’est à ce niveau que survient la révolte contre soi-même, la révolte contre les systèmes sociaux et politiques, contre tous les systèmes confondus. Cette réalisation de soi est une forme d’illumination, qui conduit à la fin du spectacle à la renaissance et à l’ouverture de tous les franchissements. C’est ce passage initiatique, qui part de l’obscurité à la lumière, autrement dit du chaos vers l’ordre, que nous livre le spectacle, vers un dernier moment de partage avec le public, celui de la célébration de la vie. Valentine Cohen est allée chercher des mots de personnes rencontrées à Brazzaville, de tous âges, en leur demandant : «C’est quoi pour vous célébrer la vie»? Chacun y va de sa réponse, que lit la comédienne ou qu’elle fait lire au public, mettant ainsi en partage une émotion : celle du mystère profond de la vie. Je me permets pour conclure de citer un poète William Blake : «Si nos perceptions étaient nettoyées, tout chose apparaîtrait à l’homme dans son infinité.»

Dexter MILANDOU, pour les Bruits de Mantsina

Article réalisé dans le cadre de l’atelier Les Bruits de Mantsina 2019

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