Les Bruits de Manstina: A quand remonte la première édition de Mantsina et quel est le parcours du festival?
Sylvie Dyclo-Pomos: Le parcours de Mantsina remonte à 2003. Ce festival a été créé par Jean Felhyt Kimbirima, Arthur Vé Batoumeni, Abdon Fortuné Koumbha, Ludovic Louppé et Dieudonné Niangouna, avec leurs compagnies, la Compagnie Deso, la Compagnie Salaka, la Compagnie KAF et Les Bruits de la Rue, et par la suite, plus tard, la Compagnie LudoSylvie dont je fais partie.
Les Bruits de Mantsina: Pourquoi avoir choisi ce thème, « le dynamisme d’une jeunesse », pour cette 16e édition?
Sylvie Dyclo-Pomos: Nous l’avons choisi parce que l’on voit les réalités au Congo et plus précisément celles de Brazzaville. Les jeunes sont livrés à la vie de boisson, avec des actes de violence et de barbarie créant ainsi des phénomènes qu’on appelle aujourd’hui les Américains, les Arabes, les Koulounas, les Bébés noirs et autres. Alors je me suis dit que nous avons pour travail l’art, et qu’on ne donne que ce que l’on a, donc pour moi Mantsina dédie cette édition à la jeunesse. Car comme je l’ai dit à l’ouverture, un jeune qui est dans l’art ne peut pas penser à prendre une machette pour tuer, mais plutôt à prendre une machette pour tailler le bois puis en faire une œuvre d’art. C’est ainsi qu’un jeune qui est tourné vers l’artistique ne peut pas être hanté par la violence, alors on s’est dit cette édition sera l’édition de la jeunesse.
Les Bruits de Mantsina: Les pièces de théâtres choisies ont-elles réveillé les consciences? Pouvez-vous nous en citer quelques unes?
Sylvie Dyclo-Pomos: Oui bien sûr nous avons assisté à des pièces comme Cendres sur les mains de Jean Clauvice Ngoubili, l’Afrique dans la main du diable de Justin Pametoyi Ayuka, 7 milliards des voisins de Carlos Zinsou par exemple. Ce sont des pièces qui font réfléchir sur beaucoup de réalités comme l’immigration etc.
Les Bruits de Mantsina: Que pouvez-vous dire sur votre choix de programmer la pièce Au Coeur des hommes sur Savorgnan de Brazza?
Sylvie Dyclo-Pomos: La pièce sur De Brazza a suscité beaucoup de réactions, c’est normal. Vous savez, c’est un sujet délicat à l’international, ça a fait des tonnerres du fait qu’ici on a construit un mémorial. Pourquoi dépenser autant d’argent pour construire un mausolée d’une personne issue de cette histoire coloniale au lieu de construire des écoles ou des hôpitaux? Cette pièce avait été programmé à l’IFC et j’étais présente bien que je n’avais pas pu finir d’assister à la pièce du fait d’un appel urgent, mais la manière dont le metteur en scène avait abordé ce sujet ne m’avait pas satisfaite et je me suis dit qu’il y a un problème et qu’il faut en parler parce qu’il n’est pas sur une bonne voie. Quelques mois plus tard, il m’envoie par chance le dossier pour Mantsina et je me suis dit tant mieux, c’est l’occasion pour en débattre à l’espace carrefour, parce que Mantsina est un lieu de débats et de rencontres où nous débattons de tout. Il faut exposer tous les faits et il y a débat. Voilà pourquoi j’ai programmé cette pièce et vous avez vu vous-même les retours que nous avons écouté à l’espace carrefour où le metteur en scène était présent. En résumé: Pierre Savorgnan de Brazza n’était pas un saint et ce n’est pas normal que le metteur en scène / auteur ne le présente que sous ce jour humaniste dans tout ce qu’il faisait et je pense que ça fait réfléchir le metteur en scène, ça remet en cause ce qu’il a fait et cela le poussera à chercher davantage au lieu de rester sur sa position.
Les Bruits de Mantsina: Pourquoi le programmer dans un quartier comme Makélékélé qui est déjà assez sensible?
Sylvie Dyclo-Pomos: Mais dans tout ça, il faut noter que de nombreux jeunes ne maîtrisent même pas qui est De Brazza et c’était pour nous un moyen de leur faire connaître cette histoire qui est la nôtre car certains n’ont jamais été à l’école et cela peut aussi être l’une des raisons qui peut faire que l’homme dans ce secteur soit si violent. Les informer valait la peine. Est-ce qu’ils savent pourquoi notre ville porte le nom de De Brazza ? Qu’il était un colon ? Ce spectacle ne peut pas créer de violence.
Les Bruits de Mantsina: Quel sera le thème de la prochaine édition?
Sylvie Dyclo-Pomos: L’édition prochaine, donc la 17e édition, aura pour thème «S’ouvrir davantage au monde», je ne sais pas si ça va changer mais je ne pense pas. Et nous avons déjà commencé les démarches du prochain festival.
Les Bruits du Mantsina: Avez-vous déjà reçu des menaces, ne serait-ce que verbalement?
Sylvie Dyclo Pomos: Je ne me suis jamais sentie véritablement menacée, physiquement ni verbalement. Mais une fois, lors de la 10e édition, j’étais passé en direct sur la Télé Congo, au JT de 20h et j’avais dit que nous avions reçu une aide de la part de la mairie de Brazzaville de cinq millions que nous n’avons jamais encaissée. Et après, il y a un monsieur qui a appelé Noëlle [l’administratrice du festival] pour lui dire que ce n’était pas acceptable que je sois passée à la TV pour dire une telle chose. Mais cela s’est arrêté là.
Les Bruits du Mantsina: Comment arrivez-vous à tenir ce festival?
Sylvie Dyclo Pomos: On tient le festival grâce à des subventions qui sont accordées par les mécènes de bonne volonté, qui nous aident, et des institutions. Ce n’est pas toujours sous la forme d’une aide financière mais parfois ce sont des échanges et des services.
Les Bruits du Mantsina: Quelles ont été les difficultés pour cette 16e édition?
Sylvie Dyclo Pomos: Ce sont surtout des difficultés financières. Nous avons l’aide de l’OIF et de l’IFC Paris, mais hélas, celles-ci ne sont pas encore parvenues sur notre compte du festival, alors que le festival est désormais fini… Nous avons logé des invités dans les hôtels, et là les gérants nous demandent l’argent qui leur est dû, les invités sont à présent sur le retour et ce n’est pas facile à gérer.
Les Bruits du Mantsina: Pourquoi Mantsina ne se passe qu’à Brazzaville?
Sylvie Dyclo Pomos: Le souhait est que le Mantsina puisse se passer dans plusieurs villes, mais cela n’est pas possible car au niveau national, nous n’avons pas d’aides, ni du ministère de la Culture ni de quiconque et on ne veut plus aller vers les autorités, puisque même lorsqu’on le fait, même lorsque nous avons fourni les documents nécessaires, au finale, rien ne se passe. Et pourtant la mairie de Brazzaville devrait financer ce genre d’activités, qui contribuent à la visibilité et à la fierté de Brazzaville et du pays en général. Par exemple, la mairie d’Abidjan finance les œuvres culturelles de cette ville.
Les Bruits du Mantsina: Est-ce que l’édition 2020 du festival Mantsina ne sera programmée qu’à Brazzaville?
Sylvie Dyclo Pomos: Oui, seulement Brazzaville, sauf si de nouvelles subventions nous permettent d’élargir notre champ d’action, et là nous pourrions aller à Pointe-Noire et même Dolisie, puisqu’il y a déjà eu une édition, celle de 2015, où nous sommes allés à Pointe-Noire.
Les Bruits du Mantsina: Croyez-vous que les pièces de théâtre programmées ont eu de l’influence sur la jeunesse congolaise?
Sylvie Dyclo Pomos: Bien sûr, surtout la pièce sur les migrants, L’Afrique dans la main du diable, cela vous laisse vraiment dans un état de réflexion.
Les Bruits du Mantsina: Comment faites-vous la sélection des pièces?
Sylvie Dyclo Pomos: Nous recevons les dossiers par internet, car il n’est pas facile pour nous de nous déplacer dans d’autres villes. Par rapport à notre thème, nous recevons différents dossiers, nous les analysons puis nous essayons de voir les pièces si cela nous est possible, ou de nous renseigner dessus grâce à des personnes qui ont déjà suivi la pièce. La réception des dossiers se fait dès janvier, sur le mail du festival ou le mien, chaque année, puisque c’est en décembre que nous l’organisons.
Les Bruits du Mantsina: Avez-vous un message particulier à transmettre aux mécènes de Mantsina?
Sylvie Dyclo Pomos: Nous ne refusons aucune aide, car nous faisons avec les moyens du bord et ce n’est pas facile. Nous avons reçu une lettre de la part de Sanza de Mfoa de GPY. Mantsina sur scène est nominé et donc ce 28 décembre, nous serons à Olympia pour le trophée des créateurs.
Les Bruits du Mantsina: Quel rapport pourrait-il y avoir entre Mantsina et le théâtre scolaire?
Sylvie Dyclo Pomos: Il y a déjà un festival de théâtre scolaire qui existe, nommé FETESCO mais Mantsina sur scène est réservé pour un théâtre professionnel. De plus, Mantsina sur scène se passe en décembre, pendant les examens et juste avant les congés.
Les Bruits du Mantsina: Comment faites-vous avec tous les artistes invités et étrangers européens qui viennent pour Mantsina?
Sylvie Dyclo Pomos: Déjà, il faut le dire, toutes ces personnes sont des amis du Mantsina, on les appelle les Mantsinistes de la diaspora, qui paient leurs billets. Soit ils viennent jouer un spectacle, soit ils viennent animer des ateliers. Ils sont un grand soutien, un très grand soutien pour Mantsina.
Les Bruits du Mantsina: Quelle est la signification de Mantsina?
Sylvie Dyclo Pomos: Mais il fallait commencer par là! Mantsina en langue kongo veut dire un parfum, une bonne odeur, donc mantsina, c’est le parfum qui se dégage sur scène, un travail bien fait sur scène.
Les Bruits du Mantsina: Pourquoi ce nom? Est-ce que cela reflète bien la réalité de Mantsina?
Sylvie Dyclo Pomos: Bien sûr, vous voyez le travail que font les artistes, vous voyez comment ils bossent dur! Si le cercle Sony Labou Tansi n’était pas envahi par les kermesses aujourd’hui, vous auriez vu comment ils y travaillaient de 8h à 22h.
Les Bruits du Mantsina: Y-a-t-il des conflits au sein de l’équipe qui organise le festival?
Sylvie Dyclo Pomos: Non, nous avons tous la même vision du festival. Lorsqu’il y a un sujet à débattre, on pose le sujet sur la table, on en discute et à la fin, il y a toujours une solution, on décide ensemble.
Les Bruits du Mantsina: Merci et longue vie au Mantsina!
Entretien mené par Credo Eguenin, Dexter Milandou, Roxiane Kouvoulou et Rodney Zabakani dans le cadre de l’atelier Les Bruits de Mantsina, le 22 décembre 2019 à Brazzaville.