Aujourd’hui mardi 16 août 2016 c’est officiel, Dieudonné Niangouna quitte la direction du festival Mantsina-sur-scène qu’il assurait depuis sa création. Il laisse la place à Sylvie Dyclo-Pomos, auteure, metteure en scène et comédienne.
Voici le message posté par Dieudonné Niangouna sur sa page Facebook:
« Après douze années à la tête du Festival International de Théâtre de Brazzaville « Mantsina sur scène », je me retire avec une satisfaction qui ne me laisse pas du tout indifférent. Et je salut tous ces beaux jours du passé et les Hommes qui les ont fait. J’ai la reconnaissance d’avoir navigué auprès des artistes qui ont le coeur sur la main et l’âme dans le coeur. C’est un chouette petit chapitre bien osé que je me fais le plaisir d’intituler ici « un p’tit bout du p’tit matin. » Le chemin est plus que long, alors force et courage obligent. Nous irons, compagnons de route, chargés d’une même passion, planter le théâtre au coeur de la cité. Nous continuerons ce magnifique geste de l’humain: « enfanter l’art pour repousser sans cesse la mort de la vie. » C’est en cela que je suis fier de laisser la place à ma collègue dramaturge, metteur en scène et comédienne, Sylvie Dyclo-Pomos, artiste compétente en qui j’ai toute ma confiance, pour porter le Festival International de Théâtre de Brazzaville « Mantsina sur scène ».
Allé, les « Mantsinistes », encore une fois :
Que l’Art nous parle! MERCI BEAUCOUP POUR TOUT »
De la part de tous les mantsinistes, d’hier, d’aujourd’hui et de demain, un grand merci à toi Dido.
Quelques images de la Nuit Sony,
du 19 au 20 décembre 2015
à l’espace Mantsina.
Il n’est pas encore 6 heures du matin et le jour se lève sur les rescapés de la Nuit Sony!
Ulrich N’Toyo faisait l’animation,
Nicolas Martin Granel rêvait à voix haute de publier des inédits,
Laëtitia Ajanohun a lu tant que son ordinateur lui a permis…
Et tout le monde a dansé.
Emmanuel Manteau tenait la caméra.
« Sony fait partie des grands écrivains qui aident littéralement à vivre »
>> Entretien réalisé par Aminata Aidara à lire sur le site d’Africulture
A l’occasion des 20 ans de la disparition de l’auteur et metteur en scène Sony Labou Tansi, l’anthropologue et maîtresse de conférence Julie Peghini (qui prépare actuellement un film documentaire sur Sony, Je mourrai vivant) coordonnait fin 2015 avec Nicolas Martin-Granel, sur une idée de Jean-Damien Barbin, l’ouvrage La Chair et l’Idée. Théâtre et poèmes inédits, lettres, témoignages, écrits et regards critiques. Y figure notamment la pièce La Gueule de rechange,au centre de cet entretien avec l’universitaire et Harvey Massamba, comédien et metteur en scène, qui vient de monter cette pièce au festival Mantsina sur scène. Il est actuellement à Lyon où il suit une formation à l’ENSSAT afin de monter son école supérieure de théâtre de Brazzaville, projet auquel il travaille depuis 2013.
La Gueule de rechange de Sony Labou Tansi mise en scène par Harvey Massamba avec les élèves de sa compagnie Nsala, a été présentée pendant le festival Mantsina Sony sur scène les 19 et 28 décembre 2015. Note d’intention du metteur en scène.
Tout commence dans une atmosphère quelque peu mystique pour mieux rendre compte du rapport que Sony, en tant que fils des deux rives, donc pont sur le Congo, entretenait avec le fleuve. Trois sirènes et un homme sur le rivage qui semblent invoquer la puissance du fleuve. Les sirènes se prêtent au jeu et sortent du fleuve pour aller forniquer avec l’homme. Ce rapport au fleuve que certains développent côtoie simultanément celui plus basique que le plus grand nombre de riverains entretient avec cette étendue d’eau qui nous questionne de son regard kaki. Une rivière, un fleuve, une étendue d’eau. Des rapports différents.
Puis la rupture, toute la scène devient une fête foraine, une foire aux idées. Chacun vient y déverser sa gueule comme avec une radio de poche dans les mains du régime.
A l’impitoyable gymnastique esthétique de l’auteur, je riposte par une impitoyable gymnastique scénique.
Une gymnastique des corps et des tableaux, une gymnastique du dire, du comment dire par la voix, le souffle, par la sueur, par le geste… bref par l’acte théâtral. Dans La Gueule de rechange j’éprouve le corps de l’acteur, il devient matériau, il devient produit de fabrication, matière première d’une usine de fabrication de ce peut être esthétique dont parle Sony. Tout se construit et se déconstruit au fil des scènes. S’éprouvent aussi la parole et les idées.
J’ai opté pour une scène vide afin que l’ensemble du spectacle ressemble à un tableau qui se peint en direct, une toile qui se tisse devant les yeux du public et dont le matériau et les ingrédients ne sont autres que le corps des acteurs.
La Gueule de rechange est aussi l’aboutissement d’une initiation qui aura duré quatre ans. J’ai voulu pour consacrer cette première génération de comédien sortie de mon école, être avec eux sur le plateau. Cela a valeur de signature sur leur diplôme de fin de formation. Ils sont arrivés avec leurs ailes d’envie de foutre une raclée à cette vie, de boxer la situation, de nommer ce qui veut décréter aujourd’hui et maintenant la fin de l’humain. Ils ont aujourd’hui les jambes assez solides pour rixer avec les prophètes de l’agenouillement, ceux qui regardent du coté de l’existence où il n y a absolument rien afin de leur montrer le côté de la vie où il se passe quelque chose. L’énergie qu’ils déploient dans La Gueule de rechange, cette envie de dévaluer la tête au profit du cœur arrive dans la sincérité vers le public, dans la simplicité de l’acte d’être. La complicité pétillante de cette jeunesse volontariste et prête à boxer jusqu’à la dernière goutte de salive a permis que l’acte théâtral soit tonitruant.
«Merci aux artistes. Si Sony vous a vendu son destin, vous avez remboursé l’honneur.»
Nicolas Martin‐Granel
Ce thème a été choisi par Les Ateliers SAHM en hommage à Sony Labou Tansi (20 ans après sa disparition), comme pour ajouter du bois dans le feu allumé par cet auteur. Cette exposition donne matière aux artistes de marquer ou faire remarquer leurs empreintes à l’occasion des 12e rencontres internationales de théâtre intitulées festival Mantsina. Un projet initié par Dieudonné Niangouna, qui cette année a eu pour thème Sony sur scène. Ce festival culturel devenu culte qui se déroule en décembre de chaque année à Brazzaville ne pouvait laisser indifférent les plasticiens comme Van Andréa, Artmel Mouy, Jordy Kissy Moussa, Mantvany, Girel Nganga, Gad le beau, Monroyal, Paul Alden M’vout, Penath Kimbembé, Anne Garnier, Francis Kodia, Aimebéejer, Jules Roger Boumpoutou, etc.
Sony a vendu son destin aux artistes, il leur a appris à ne pas chercher mais à trouver comme le dirait un certain poète «je ne cherche pas, je trouve».
L’exposition Sony m’a vendu son destin met en exergue le travail des artistes qui, loin de s’arrêter uniquement à la peinture, se sont imprégnés des mots de Sony Labou Tansi. Ils ont acheté le destin de Sony en dévorant ses œuvres. Ces artistes se servent de leur talent en mettant ensemble les couleurs, les objets et les images pour se souvenir à jamais de cet illustre écrivain congolais, reconnu mondialement. Les différents travaux présentés par les artistes sont l’expression d’un ressenti Sonien:
Paul Alden M’vout
Jordy Kissu Moussa
Anne Garnier
Roger Boumpoutou
Van Andréa
Artmel Mouy
100 femmes est le poème dans lequel Van Andréa tire son inspiration en faisant des portraits de femmes. Loin d’apporter un jugement, il s’interroge sur ce que peut cacher la beauté lorsque chaque femme a son caractère et sa manière de séduire. Van Andréa s’inspire également de L’Acte de Respirer pour rendre hommage à Sony avec une installation qui est une continuité de ses portraits.
Artmel Mouy puise son inspiration dans 100 hommes pour dire les mots. On lirait dans son œuvre la volonté de dire sans aucun effort. L’artiste met à nu la société telle qu’elle se présente à nous avec tous ses miasmes. S’inspirant des phrases de Sony telles: «Les mots vont mourir si quelqu’un ne les remue à temps», Artmel domine le silence, car d’un côté il dit les choses sans les nommer et de l’autre il les dit de manière crue, tel est le mystère de Sony. D’ailleurs, il peint des hommes qui presque tous ont un œil plus grand que l’autre sur les formes extravagantes des femmes de tout âge.
L’Acte de Respirer est aussi une source d’inspiration de Jordy Kissy Moussa qui se sert de l’image des poumons passés aux rayons X et des papiers froissés pour marquer un terrorisme existentiel, il intitule d’ailleurs son installation Terrorisme d’exister. Ce Terrorisme trouve son sens dans l’étouffement constant et le besoin de respirer qu’éprouve l’Homme.
Mantvany utilise des papiers pour construire la ville de Yourma sur laquelle, elle s’approprie l’écriture de Sony en y écrivant à l’aide d’un stylo des bribes de textes du roman La Vie et Demie.
La Vie et Demie est également ce sans quoi Girel NGANGA ne saurait parler du pouvoir boulimique dans son œuvre. Partant des ustensiles de cuisine, il met l’homme face à ces objets afin de montrer l’égoïsme humain.
Gad le Beau quant à lui, s’est servi des phrases de Sony dont «je vais travailler dur pour que je puisse influencer par le verbe une, deux, trois, quatre, cinq générations». De cette phrase on lit une littérature prophétique qui aujourd’hui influence bien des générations. C’est pourquoi, Gad intitule son installation Continuation. Une installation éclairée avec des photos de Sony comme pour dire «Elle ne finit jamais», la vie ne finit jamais, Sony vit à jamais en nous.
Monroyal, membre du Club de Lecture s’essayant pour la première fois à l’art pictural, n’est pas resté en marge de cette phrase, il fait un portrait de Sony et se sert du stylo comme matériau de prédilection pour peindre la perspective d’éternité de cet auteur, le cerveau bleu. Le bleu reflète en fait le génie créateur et le caractère universel que l’artiste donne à l’écrivain.
Paul Alden M’vout, donne également le «la» à cette puissante phrase de Sony: «Je vais travailler dur… » Lui, arrivé aujourd’hui, fait un portrait de l’écrivain avec ses matériaux habituels de création: gélule, fumée polluante, ce qui nous plonge dans son regard en phase avec son époque habitée par les préoccupations climatiques, la destruction de la planète… Et, permet à chacun de se projeter dans un passé, un présent et un futur.
Penath Kimbembe tire son inspiration des Sept Solitudes de Lorsa Lopez: «Quand Lorsa Lopez tue sa femme, personne ne fait rien. A Valancia, la cité déchue, on se contente d’attendre la police… qui ne vient pas». Comme l’écrivain, l’artiste avec ses couleurs interrogent le silence des Hommes, de l’Histoire.
Anne Garnier, travaillant sur la personnalité de l’écrivain plonge la tête de ce dernier dans l’environnement qu’il connaissait le mieux: écriture, journaux, marque page… Elle part encore plus loin en créant des petits bonhommes sur la tête de l’écrivain symbolisant ainsi son humanisme, et la connaissance que toute les générations ont achetée auprès de celui qui était à la fois Romancier, Dramaturge, Poète…
Francis Kodia part d’une empreinte de plusieurs clichés de photos posées sur un seul et même visage portant une oreille pour montrer l’empreinte de Sony «face au silence, face à la nuit géante». La présence de l’encre indélébile et des photos colorées justifient ainsi la diversité de choix que l’on lit dans l’Homme.
Aimebéejair rassemble des phrases tirées des œuvres multiples de Sony, ajoutée à celles des artistes pour immortaliser l’homme qui a fait naître le demi dans son inconscient. Malgré le caractère élogieux de son œuvre, l’artiste refuse de tomber dans un fanatisme aveugle en montrant aussi le côté sombre qui fait de l’écrivain un être humain.
Roger Boumpoutou part de la liberté d’évasion pour pénétrer l’âme et l’œuvre de celui qu’il appelle grand frère. Habitant Makélékélé, le quartier de Sony, Roger accepte volontiers de faire de cet auteur un prophète chez soi. Son œuvre présente un S comme Sony, des seins renvoyant à l’attachement de l’écrivain à la femme et une bouche volumineuse qui traduit si bien la manière la plus loquace de l’expression sonienne.
Partant de ces œuvres, les artistes dégagent tous les 930 mots, mieux les mots de Sony par des présentations et des portraits expressifs. Ces travaux exposent pour la plupart une bouche, des dents, des yeux, un nez, une langue…; ce par quoi on dit les mots qui partent de nos poumons tragiques photographiés.
Enfin, les artistes ont découvert et assument à travers Sony, la beauté du langage; le rire de sauvetage; la dénonciation du silence; la réhabilitation de la parole; le refus de la mort; la construction de la vie…
Olmiche Bantsimba et Elwin Gomo, Membres du Club de Lecture des Ateliers Sahm, Olmiche et Elwin ont également remboursé l’honneur en accompagnant cette exposition de leurs mots.
“La place du public dans la vie du festival a témoigné de la pertinence du combat comme un processus du devenir. Le devenir art ici et maintenant. Nous avons initié cette passe à la vie dans les quartiers et la contagieuse ambiance s’est racontée avec. Le risque était beau à prendre et vous l’avez pris, tous.”
Dieudonné Niangouna
En, effet, la particularité de cette 12ème édition de Mantsina Sony-sur-scène a été de sortir des murs d’un théâtre, des salles classiques et des établissements publics pour occuper les cours de maisons, les rues et les lieux culturels privés de Brazzaville.
Ainsi, Les Ateliers Sahm ont accueilli le 24 décembre Cahier d’un retour au pays natal dans une représentation d’Etienne Minoungou. Etienne Minoungou a déployé magistralement son jeu d’acteur sur une estrade de fortune, circulaire façon grecque, formée de pierre. Les pieds dans le sable, il a libéré sur un ton juste, les mots d’Aimé Césaire face à la forêt de la Patte d’Oie qui abrite Les Ateliers Sahm. Etienne Minoungou, comédien majeur burkinabé a attiré un public nombreux dont les enfants du quartier aguerri aux couleurs des plasticiens.
Et le 27 décembre Les Ateliers Sahm ont accueilli Et si je vous disais la vérité de la congolaise Boréale Pongopo, sous la menace de la pluie. Une pluie qui, finalement, ne tombera pas une fois les mots de Boréale lâchés, comme impressionnée par sa colère à l’attention des dieux violeurs, imbéciles, fous…
Par ses mots sortis de ses entrailles déchirées,
des mots sortis de son vagin charcuté à jamais… Du climat tropical, le ciel a glissé peu à peu vers une aurore boréale : son Acte de Respirer. Son choix d’être artiste. Même si de l’écrit à la mise en scène le propos est resté littéral et le jeu d’acteur un peu trop théâtral, raisonne le culot d’exister d’une jeune artiste prometteuse, reste sa vérité triomphante sur son enfance brisée, une vérité qui fait écho à celle de Sony: Au fond, si vraiment vide il y a, pourquoi ne pas profiter pour y mettre quelque chose, Pourquoi ne pas l’utiliser à exister?
Nous avons vidé la vie à coup de questions: qui on est – où on est – où va t-on… A toutes ces questions je donne une réponse, mais pour l’accepter, il faut avoir le courage, je dirai même le culot d’exister. Au fond, si vraiment vide il y a, pourquoi ne pas en profiter pour y mettre quelque chose? Pourquoi ne pas l’utiliser à exister?
Sony Labou Tansi, L’Acte de Respirer.
Par Dieudonné Niangouna
Pour tout ce qui nous a précédé en 2015, cultivons les avantages pour faire une belle entrée en l’an 2016. Nous avons scellé des amitiés avec des rires, des drames et des amours. C’est aussi ça Mantsina Sony sur scène. Nous n’avons fait que contribuer à donner plus de dimensions à nos rêves. Et nous-nous sommes vus comme plusieurs fois déjà nous réveiller pour les jouer. Oui, des bonheurs se sont partagés et bientôt vont jaillir des projets, fruits de tous ces moments de rencontres. On s’est permis de tenir pour Mantsiner à souhait. C’est ce que nous avons voulu et en toute logique de paix et de respect c’est bien ce que nous avons fait. Nous avons été une communauté d’amis, d’artistes, de rêveurs debout, de spectateurs assidus, d’accompagnateurs de projets, d’initiateurs, de courageux : une chouette petite humanité bien osée ! Et grâce à ce libre témoin nous avons pu articuler la rencontre entre Art et Public et le dialogue a eu raison d’avoir lieu.
Ce miracle Mantsina Sony sur scène 2015 est dû à cette marque d’engagement que nous avons affirmé courageusement ensemble et non sans intelligence. La place du public dans la vie du festival a témoigné de la pertinence du combat comme un processus du devenir. Le devenir art ici et maintenant. Nous avons initié cette passe à la vie dans les quartiers et la contagieuse ambiance s’est racontée avec. Le risque était beau à prendre et vous l’avez pris, tous. Difficile que nous puissions donner aujourd’hui la taille exacte des réussites qui en découlent. Nous avons vu bouger des choses, déplacer des habitudes, se réveiller quelques dormeurs, oser réagir des attentes, s’encourager des avancées et se forcer à tenir les sentinelles de la maison du bonheur. Nous avons vibré, nous qui nous sommes donnés à cœur joie à cet exercice de Mantsinage. Sony le sait ou peut-être pas, mais quelle importance puisque le gamin, qui s’assoit comme seuls tous les gamins du monde savent le faire les mains en soutenant la tête, la maman qui vend des cacahuètes au marché, le mécanicien du coin de la rue, l’étudiante avec ses certitudes et ses interrogations, les ados en phase de se chercher, les vieilles qui portent la parole du conteur dans les yeux remplis de sagesse, les mis à part et tous ceux qu’on ne saurait catégoriser, ont vu, lu et entendu quelque chose qui leur a parlé. Et ce n’est qu’à cet endroit que nous jouons notre magnifique rôle d’augmentateur de la vie, donc nous avons vibré en l’honneur du poète. Il a été question d’inventer le possible et ce possible se doit aujourd’hui de ne pas fléchir. Car nous ne faisons qu’appeler des matins plus beaux que ce matin et des nuits plus tendres où l’oreille s’associe à la bouche du conteur. Notre geste est continuel sinon il sera suicidaire. Voilà la magie que nous avons donnée à nos gestes éphémères ; c’est d’être continué sans cesse. C’est cette raison qui nous, Mantsinistes de la première comme des vingt-cinquièmes heures, pousse à croire à ce devoir de construire, à ce partage des arts, à sortir de l’ombre du monde, à résister. Je prononce ce mot « résister » avec toute sa charge impulsive du combat. Car rien ne peut rester à l’abri de ces temps si durs où la barbarie s’érige en donneur de crise. L’art ne peut pas être une chose à part dépourvue de conscience, inapte à la réflexion, une simple bulle imaginaire dans la naïveté d’un sot qui n’a pas les pieds sur terre. Non ! Nous portons la parole dans des lieux publics et nos gestes en disent plus long que ce que les temps veulent nous faire dire, nous faire croire et nous faire-faire. Exister là où le vide comble tout est la preuve que l’histoire nous a convoqués en ces temps non pour enseigner des énigmes mais pour les réparer, pour soigner les questions avant de leur accorder des réponses. Si l’histoire nous a distribués en ces temps c’est pour croiser des cultures, adapter des poésies, inventer des danses, réaménager des territoires de langages, éprouver la matière.
Pour dire « Mantsina » nous avons troqué la sueur contre le parfum. Oui, nous avons transformé les remugles de nos sueurs en parfum. Nous voulons cette alchimie libre de tous mouvements pour repousser le chaos. Continuer aujourd’hui doit se conjuguer avec la force d’inventer qui ne va pas sans le vertigineux art de se déplacer. Toujours se déplacer pour faire bouger le soleil. Et sans cesse trouver le second souffle, le troisième souffle, le quatrième… Ainsi nous devenons partenaire de nos mouvements. Créateur, acteur et partenaire à la fois. Nous-nous produisons avec et dans cette complicité-là. Des démultiplicateurs, nous sommes. Oui, après avoir été générateur et corps activant, nous-nous démultiplions en différents vers du poème.
Nous allons donc, au cœur de l’impossible, fermement, remplis de courage en l’avenir et nous portons, notre ferme conviction de sortir de l’ombre, sur le fronton de nos gestes artistiques. Et fiers de nous nommer nous disons : « Ceci n’est pas une marchandise. Ceci n’est pas une œuvre d’art avec un prix. Ceci est un humain, vraisemblablement, qui te ressemble. Ce geste, ce mouvement, cette parole c’est encore lui, un être humain et qui vraisemblablement te ressemble. Ce qui découle de ceci n’est pas un produit ni un concept à vendre, c’est un être humain. Nous révoquons par-là toutes les manies de s’asseoir bien à table et de consommer ceci avec l’idée que tout est consommation. Nous renions ici d’être des modèles de base à grand tirage de photocopie. Aussi vrai que les circonstances forgent l’homme, nous posons ici la question à la connaissance de ce temps, facteur de nos pensées et gestes, qui de nous et d’elle a le droit de nommer ?
Harvey Massamba Je ne saurais vraiment le dessiner à moins que je ne remplisse la terre entière d’une tête dont les cheveux serviraient de paratonnerre aux habitants.
Abdon Fortuné Koumbha Sony pour moi était un passeur. Sony est celui qui nous a «autorisé» à croire que l’Art pouvait nous permettre d’exister.
Jean-Paul Delore Je sais pas quel Sony, mais je veux bien boire un verre dans le bar qu’il tiendra à Brazzaville!
Étienne Minoungou Une fulgurance, comme Thomas Sankara, un géant lumineux avec la bouche grande ouverte, debout, entre la déflagration du Big-Bang et le ciel à l’horizon sombre du prochain Apocalypse. On ne peut pas dessiner Sony, on le peint ou on le sculpte mais alors il faudrait avoir pour tableau ou matière, le cosmos ou la joue d’un enfant ou encore un bout du lit du fleuve Congo…
Rufin Mbou Mikima Mon Sony a 20 ans. Il a un porte-voix aux couleurs du Congo, le drapeau du Burkina Faso sur la tête et un t-shirt sur lequel il est écrit: « Les voix du peuple » disent leur « Ras-le-bol »…
Kouam Tawa Je dessinerai un homme frêle qui écrit debout. Je pense à ces mots de Jacques Chevrier sur la 4e de couverture de La Parenthèse de sang publiée en 1981: « Depuis qu’on a donné à Sony Lab’ou Tansi un crayon et une feuille de papier, il ne les a plus lâchés. Il écrivait sur ses genoux au lycée; aujourd’hui il écrit debout ou sur les coins de table; il écrit la nuit, il écrit le jour… et quand il n’écrit pas, il pense à ce qu’il va écrire. »
Dessin Marie-Charlotte Biais
Papythio Matoudidi YAAAAAHHH quelle question ! On ne peut pas dessiner Sony, Sony c’est le monde, c’est l’univers ! C’est beaucoup de choses… c’est des milliards de mots Sony. C’est: force, parole, sagesse, prophétiser, appartenir, donner, jouir, pouvoir, révolution, militantisme, armée des mots, volonté, espoir, prière, vie, créature, connaître, paraître, devenir, résurrection, jouissance, être grand, être petit, peuple, main levée, couloir, porte, trou, plaisir, baise, croire… Sony pour moi c’est fleurir, couler, fleuve Congo, fleuve, eau, verseau, année, millénaire, éternel, semer, exister, humain, homme, terre, monde, Mouamongouba. Sony c’est aussi La Main bleue, l’aéroport Maya Maya, c’est aussi la grande avenue Mbemba-Hyppolite, c’est aussi Brazzaville avec ses moments de jouissance, ses moments au cercle Sony, c’est Mantsina, c’est le Socle des Vertiges, c’est Sheda, c’est l’Antépeuple, ce que je vais dire simplement : c’est tous les mots qui existent sur la terre, tous les mots qui donnent la vie, l’espoir. Tous les mots qui sont une prière, parce que ce que Sony écrit c’est une prière, pour moi d’où je viens, du Congo, c’est une prière, ça me donne de l’espoir, ça me guide, ça me donne beaucoup de choses… Voilà. «que le fleuve KONGO soit en nous pour toujours…»
Marcel Mankita Grand, mince et frêle. Genre 1m90 mais ne pesant que… 50 kilos. Une énorme tête (pesant le tiers de son poids total) dont le visage –en sueur– respire en même temps la timidité, la préoccupation et la détermination. Léger sourire aux lèvres. Pieds nus, il est vêtu d’un pantacourt gribouillé et d’un tee-shirt arborant –côté poitrine– un gars au bord d’un lac en train de pêcher et –côté dos– une statuette vaudou. Tee-shirt trempé par la sueur.
Dieudonné Niangouna Je crois qu’il ne fallait pas qu’il soit dessinateur. Parce qu’il y a un dessin de Sony que j’adore qui est au début je crois dans le bouquin L’Acte de respirer, ou il dessine une espèce de tête comme ça, avec un bec là tout le blablabla. Le défaut c’est qu’il était dessinateur et pour moi c’est une espèce de Picasso, parce qu’il regrettait il disait même «Ah si j’étais Picasso…». Je crois qu’il était un vrai vrai dessinateur, c’est à dire il ne pouvait que dessiner que, quand je dis comme Picasso c’est à dire je peux aussi dessiner comme un autre, mais c’est à dire par cette lecture réelle, il dessine l’âme de la chose, mais pas l’âme dans sa pureté et pas non plus l’âme dans son côté salasse ou vilain mais c’est à dire l’âme, la chose qu’on ne peut pas dessiner. Donc du coup, on ne lui prête que des formes. Mais ces formes là ne sont pas des formes dessinables, ni des formes écrites, ce sont des formes de sensations, de ressentis. C’est à dire, je vais dessiner la haine, la haine n’a pas un dessin genre carré, rond ou triangle, quand tu fais ce dessin là c’est la haine, non. La haine n’a pas de dessin. Parce que c’est un sentiment, c’est une sensation, c’est un truc qui n’a pas de forme. Donc dessiner complètement comme ça comme il le faisait, c’est évidemment la littérature de l’âme. C’est le dessin de l’enfant où il ne dessine pas la forme; il croit qu’il dessine la forme, mais l’enfant veut absolument dessiner les sentiments. Il veut dessiner comment il aime ce bonhomme-là. Et du coup ça ne marche pas proportionnellement parce que la forme ne veut pas des proportions. L’enfant il veut qu’on sache qu’il aime le petit bonhomme de neige. Donc il veut que dans son dessin on sache qu’il aime le petit bonhomme de neige. C’est ça qu’il veut dessiner. Il ne veut pas dessiner comment le petit bonhomme de neige est, il veut dessiner comment lui, il aime le petit bonhomme de neige; ou ce qu’il déteste chez Diabolo et Pénélope…
Dessin Sony Labou Tansi
Le défaut c’est que lui-même il a dessiné, et quand j’ai vu ce dessin je me suis dit «Ah merde, il m’a piqué comment moi j’allais le dessiner». Parce que j’allais le dessiner comme ça, cette tête là, avec des piques sur la tête, et un bec comme ça, et un œil là et puis l’autre, il n’y a pas d’œil… Oui parce que c’est la beauté du monstre, Sony c’est la beauté du monstre. Ce n’est pas le monstre beau, c’est pas le monstre joli, c’est la beauté du monstre. Et là beauté du monstre évidemment n’est pas que le monstre soit dégueulasse, n’est pas que le monstre évidemment soit gentil, la beauté du monstre c’est une chose qui est apparemment dépouillée d’un certain nombre de sentiments collés ou figés. Il n’est qu’une forme d’existence réelle. Comme quelque chose d’entier et qui ne peut pas se négocier et qui ne peut pas négocier, qui ne peut pas troquer, tu ne peux pas identifier à un autre, c’est pour ça que c’est un monstre. Nous, on est des êtres humains on se ressemble, mais un monstre est toujours spécial. Tu as un monstre et puis un autre monstre et ils n’ont pas de famille. Un monstre c’est un monstre. Sony c’est une espèce de chose toute seule comme ça, entière. C’est là où il est un monstre. Parce que c’est un monstre. Donc c’est pas beau, c’est pas laid, ça ne fait pas partie de nos vocabulaires, ça ne fait pas partie de nos trucs à nous, de juger, de regarder, d’équilibrer, tout le blabla. Mais il est, par une opération que lui même avait fait intrinsèquement, qui est une opération de devenir. C’est à dire de s’arroger une place. Il s’arroge une place pour refuser l’assignation. Il ne veut pas être assigné. Il ne veut pas qu’on l’appelle «poète engagé», il ne veut pas qu’on l’appelle «poète». Il ne veut pas qu’on l’appelle «écrivain», il ne veut pas qu’on l’appelle «metteur en scène». Il ne veut pas qu’on l’appelle, il veut que lui s’appelle. C’est en ça déjà qu’il crée le monstre en lui. Et c’est une technique de dissuasion assez importante. Pourquoi? Parce qu’à ce moment là, il crée une place. Il crée une place et il est vu. C’est à dire, il est entendu. Quand je dis qu’«il est vu il est entendu» c’est pas que sa question c’est pour qu’il soit vu, la question c’est pour que ce qu’il dit soit entendu. Or ce qu’il dit pour que ce soit entendu, il faut que ce soit lui qui le dise. Donc ça veut dire quoi? Il faut qu’on l’entende lui pour qu’on entende ce qu’il dit. Et du coup, par là il crée une mise en scène. Et la mise en scène il la fait où? À l’intérieur de son propre corps.
Il crée une mise en scène, c’est à dire il s’arroge une place. En commençant par refuser l’assignation.
Et en refusant de dire «on m’appelle». Il dit «je m’appelle» . Et il le fait il dit: «je m’appelle Sony Labou Tansi». Sur le papier c’est écrit Ntsony Marcel, mais il dit: «je m’appelle Sony Labou Tansi». Et tout le monde sait par quelle étape il est arrivé pour arriver à Sony Labou Tansi, c’est même ce qui prouve qu’il s’est fabriqué. Il a étudié beaucoup de pseudonymes avant Marcel Malinda, Soyi Soyinka… Il a eu beaucoup de pseudonymes comme ça, même les premiers textes il les a publiés avec d’autres pseudonymes. Mais c’est pas qu’il se cachait derrière ces pseudonymes là, il était en train de se chercher. Et un jour quand il a trouvé Sony Labou Tansi, là c’était le monstre: le monstre, le bec était là, l’oreille était là et au-dessus de la tête il y avait des ailes de dragon et au niveau des pieds qui étaient chétifs comme ça il y a avait des crocs, le monstre était complet. Et le monstre était complet comme quand il a trouvé le nom Sony Labou Tansi. Et du coup, rien que par cette recherche de nom, et c’était pas un nom qu’il cherchait c’était une forme d’identité réelle. Et cette identité réelle il ne peut pas l’emprunter. Il ne peut la trouver qu’à l’intérieur de lui. Donc il faut qu’il rentre, et dans ses goûts, et dans ses cauchemars, et dans ses fantasmes, et dans ses colères, mais du soi, c’est à l’intérieur de lui qu’il va réveiller tout ça. C’est à dire il n’a pas peur de regarder la vérité en face. «Regarder la vérité en face» veut dire quoi? Regarder l’horrible aussi. Veut dire quoi? Regarder la beauté aussi. Il va tout te regarder. Tu vas chier il va regarder ton caca pour savoir dans quoi on est. Quelqu’un va être content il va regarder son sourire, il est content. Quelqu’un va tirer sur quelqu’un la tête explose, le cerveau gicle il va pas faire «Oh je vais pas regarder». Il va regarder, réellement, pour dire «voilà la merde que nous sommes, voilà les conneries que nous faisons», il va regarder. Donc il n’y aura aucun endroit où il va chercher à jouer d’une complaisance donnée parce que sinon il va corrompre la pensée, et donc du coup, l’acte de témoigner du monde par l’homme.
C’est ça évidemment le monstre. C’est ça la beauté du monstre.
C’est qu’il va regarder ça. Il va complètement regarder ça. Il va dire «c’est moi qui regarde». Il y a tout un travail réellement en acceptant l’homme, c’est pour ça qu’il dit que «l’être humain est trop beau pour qu’on le néglige». En acceptant l’homme avec ses qualités et ses défauts, il faut d’abord qu’il l’accepte pour qu’il se batte à le ré-équilibrer. Pour qu’il se batte à le ré-équilibrer. Donc voilà, Sony c’est un processus de devenir. C’est juste un processus de devenir. C’est pas un excellent auteur, c’est pas un excellent poète, c’est pas un excellent dramaturge, c’est pas un excellent metteur en scène, c’est pas un excellent professeur, c’est pas un excellent maître conférencier, c’est un excellent sorcier. C’est à dire, comme les vieilles matrones, c’est comme le gars dans Astérix et Obélix qui fabrique la potion magique, c’est un vieux sorcier qui fabrique un filtre qui s’appelle «le processus de devenir». Le reste, il nous embrouille en écrivant une pièce de théâtre, en écrivant un roman, en écrivant un poème, ce sont des petits montreurs qu’il utilise, qui font partie de son procédé pour que les gens deviennent. Pour raconter son évangile à lui du processus de devenir. Il n’est pas metteur en scène, il n’est pas auteur, tout ça il s’en fout éperdument. C’est pour ça qu’il ne peut pas faire une conférence sur la littérature. C’est pour ça que la littérature ne l’intéressait pas. Il n’a jamais fait de conférence sur la littérature ça ne l’intéressait pas. Quand on lui proposait ça il dit: «on ne peut pas parler littérature ça n’a aucun sens», parler de la culture ça n’a aucun sens. C’est à l’être d’avoir la culture, on doit enseigner à la personne d’avoir la culture, mais on ne peut pas enseigner la culture, la culture c’est complètement se caresser les roubignoles sous le soleil. Ça n’a aucun sens. Sony c’est juste un sorcier. C’est une grand-mère qui fabrique des filtres, qui va te les donner comme ça quand tu vas les boire, tu n’auras pas froid pendant la saison, que le serpent ne va pas te mordre quand tu rentreras dans la brousse, c’est tout. C’est tout. C’est tout. C’est un petit sorcier. C’est un sorcier. C’est un sorcier. C’est l’art du sorcier. Il va passer par la transe pour vous déloger de chez vous. Comme ça tu vas te déloger de ton toi, tu vas te déloger de toi, pour évidemment être à même de regarder l’horrible en face et de regarder la beauté en face. Tu ne peux pas l’être si tu ne rentres pas en état de transe, donc il va provoquer la transe aussi, il va fabriquer un filtre qui va te faire boire. Ben oui! Tout ça là, c’est juste un sorcier.
Dessin Marie-Charlotte Biais
Et moi je crois que si Sony n’était pas parti à l’école, il sera toujours Sony. Contrairement à ce que beaucoup de critiques littéraires ont dit en disant «oui c’est quand même la langue française qui l’a sauvé, parce que tu vois, en étant parti à l’école…» tout le blabla « …ça l’a amené à écrire. Si Sony n’était pas parti à l’école, on n’aurai pas eu Sony». Moi je dis je crois pas. Je crois que si Sony n’était pas parti à l’école, il sera toujours Sony. Il sera Sony. C’est à dire il serait pas le mec qui écrit bien sûr mais ce sera toujours le même Sony. Ça veut dire quoi? Il sera un putain de sorcier dans son village. Il allait être un sorcier. Je ne dis pas forcément un gourou qui crée une secte, pas à cet endroit là. Mais il sera un sorcier et qui sera aussi connu tel qu’il est connu en tant qu’auteur. Il n’est pas mondialement connu, il n’est pas africainement connu. C’est à dire dans le petit espace, je dirai même pas célébrité, de l’endroit où il est connu, quand je dis connu, je parle du verbe connaître, c’est à dire où l’on s’est approché de sa littérature, où on a fait l’amour avec sa littérature. Donc on le connaît comme on connaît une femme, comme un homme une femme, ils ont fait l’acte de connaissance, tu vois? Voilà. Donc tu coup s’il n’était pas auteur, on aurait connu ce qu’il allait faire là, on l’aurait connu parce que c’est un sorcier, il est sorcier. Et sa manière de penser ne vient pas de l’école, ne vient pas parce qu’il a lu un bouquin. Ils étaient nombreux à lire ces bouquins là. Parce que intrinsèquement il y a quelque chose qui est née révoltant. Qui est née révolté. Quelque chose qui a été baigné dans la honte depuis sa naissance. Il est sorti dans cette cosmogonie où il vécu, avec ses histoires familiales, ses histoires de pouvoir. Quand il vient au monde, il arrive dans un pays où il y a un pouvoir comme ça, il est gamin, on mange dans la poubelle, il y a le oui et le non c’est la même chose, il y a la honte de la famille, il y a tout ça donc bébé, il naît et il se tape tout ça dans la gueule. Ok? Mais beaucoup de gens ont eu ces mêmes trucs là. Il n’était pas le seul qui est née pendant cette période là, ou qui est né dans ce village là, ou qu’on a aussi envoyé à l’école. Beaucoup de gens se sont tapé ces problèmes là. Mais pourquoi lui ça lui a fait ça? Ah ben parce que ces mêmes réactions, quand c’est tombé chez lui, ça a provoqué ceci pourquoi? Parce que évidemment il a un cœur de beurre. Ça fond. Et donc du coup, il est complètement transparent, il est complètement transperçable. Il est complètement transperçable, il est complètement mortel. Il est complètement la peur. Le mot qu’il dit la peur et la honte. Donc tout le monde le traverse comme ça, depuis petit. Le traverse comme ça. Donc il s’en rend compte, très bien compte, qu’on lui donne un sursis de 5 ans à vivre. Il a 5 ans pour vivre à après il crève. C’est comme un prématuré mais pas dans de le sens d’être né avant, il a des insuffisances comme quelqu’un qui a des insuffisances de cœur. Le docteur a dit «toi tu as 10 ans (à vivre)», il sait qu’il a 5 ans à vivre. Alors ce qu’il va chercher c’est quoi? C’est pas de vivre longtemps. Ce qu’il va chercher évidemment, c’est ça qui est beau, c’est que par sa maladie, il va chercher à reformer le monde. Pour dire que: «il y en a beaucoup qui ont vécu la même maladie comme moi, il y en a beaucoup qui pourront encore vivre cette maladie-là, il y en a beaucoup qui pourront vivre ces carences là. Donc il faut que je me batte pour que les enfants de demain ne souffrent pas de cette carence là.» Mais il n’a pas le médicament, alors qu’est-ce qu’il fait? Il s’invente docteur.
Dans le film documentaire Diogène à Brazzaville ça s’explique, quand il arrive à l’école à Brazzaville, il quitte la RDC, donc l’ex-Congo Belge à l’époque. Quand il arrive au Congo, dans la salle de classe, il se mettait à prendre des récréations, il se mettait toujours au coin de la classe, en train de créer des pénicillines. Lui même il le raconte dans le film Diogène à Brazzaville, en train de créer des pénicillines il attrape les insectes, il prend des bouts de bois, il crée des trucs comme ça et chaque fois l’instituteur le punissait pour dire «Ah ça c’est Sony qui est train de faire des fétiches pour que les autres élèves ne soient pas admis et que lui passe. Non, non, non. Il était déjà dans son laboratoire, dans son atelier. Mais pourquoi il voulait faire un atelier? Gamin à l’école primaire, pourquoi il avait besoin de faire un atelier? C’est que c’est d’abord un sorcier, c’est un être dans un laboratoire, c’est un savant. Il croit qu’il va fabriquer une espèce de Nivaquine, qu’on doit la prendre et fini le paludisme. Mais bien sûr! Donc il a ça depuis gamin et cette pénicilline qu’il invente comme ça avec ses bouts de bois, avec je sais pas moi… du sperme de lilliputien, avec la sève de tel écorce d’arbre, ou la morve de je ne sais pas quel animal, de quelle chèvre dans le quartier qu’il a ramassée, lui il croit qu’en mélangeant ça, on inventera un truc qui arrêtera le sous-développement. Donc il est comme ça avec toute l’innocence du gamin. Et quand on lui confisque son laboratoire dans la classe, il s’énerve, il a pris une feuille et il a rempli la feuille d’encre. C’est à dire, il a écrit. Ça veut dire quoi? Il continue à faire le laboratoire maintenant avec le stylo. Donc c’est pas l’écriture qui l’a sauvé, c’est pas l’écriture qui créé Sony, c’est quand on a confisqué son laboratoire. Qu’est-ce qu’il fait? Il continue le même laboratoire par un autre outil, par un autre outil c’est tout. Il continue son laboratoire avec le stylo. Et voilà pourquoi il est réellement poète à cet endroit d’être poète parce qu’il n’est pas poète par le papier ni par le stylo ni par la machine à taper. Il est poète parce qu’il veut inventé un médicament. Donc si c’est pas avec le stylo il fera avec le pinceau, s’il n’a pas le pinceau il le fera avec du pain, c’est pour ça que je ne crois pas quand les gens disent «si Sony n’était pas parti à l’école il serait perdu…» Non il serait toujours Sony. Il serait un sorcier, un magicien, un machin… Il sait très bien qu’on ne l’a pas inventé. Et c’est pas par orgueil tapageur qu’il le dit, il le dit dans une position très très consciente d’un mec dans son laboratoire avec ses pénicillines au fond de la classe. Il n’a pas demandé «est-ce que c’est juste?» Il n’a pas d’abord chercher la vraie Nivaquine le vrai machin et connaître le Ph non, c’est dans l’innocence complètement du fou, qu’il ne sait même pas si scientifiquement cet acide là marche avec ça non, non, c’est le courage de se dire que «je vais inventer ma science». Donc il croit comme un gamin qui joue, comme les filles jouent avec leur poupée, les gamins qui jouent avec les petites voitures, et ces machines qui rentrent là et lui il devient le héros. Il croit à ça dans cette réelle innocence. Et c’est là que le monstre se crée. C’est là qu’on rentre déjà dans la fabrication du monstre. C’est qu’il commence à s’auto-fabriquer monstre. Monstre pourquoi? Parce qu’à ce moment là il fait du Nietzsche «Ni Dieu ni Maître». «Je ne vais pas dire qu’est-ce qui est vrai qu’est-ce qui est faux des autres trucs qu’ils utilisent, la vérité c’est ce que moi je vais dire». Et c’est pour ça qu’il met encore cette phrase là dans L’Acte de respirer, quand il dit «le mal est mort le mal est mort le mal est mort, et le bien, le seul bien qui existe c’est moi. Il vente en moi, il bouge en moi, il fait lune en moi.» Mais quand il dit «le bien qui existe c’est moi» c’est pas qu’il est en tain de dire «c’est moi l’homme le plus beau, l’homme le plus gentil ou des leçons de morale» non, non. J’invente mon bien. J’invente le bien. J’invente. C’est j’invente, ça ne se vérifie pas. Ce que j’invente tu ne peux pas le vérifier avec autre chose. Ça ne se vérifie pas. C’est dans ma cosmogonie. Et c’est là évidemment l’écriture du monstre. C’est là évidemment la statue du monstre. C’est là où le monstre est différent de nous, parce qu’il n’y a qu’un seul monstre. Après tu as un autre monstre, ils ne se ressemblent pas, les humains se ressemblent, c’est là le monstre justement. «Un jour, il y en aura qui diront »je l’ai influencé », ils seront nombreux et voici ma réponse à tous ceux-là qui croient qu’ils m’ont influencé. Je dirai: »d’accord, vous m’avez influencé, mais je suis allé plus loin que vous, j’ai sauté plus haut que vous, accusez moi de cela, pas d‘autre chose, autrement soyez fiers de m’avoir engendré. C’est votre droit après tout. »» SLT. Tu ne peux pas influencer Sony c’est impossible (référence à la citation donnée), c’est impossible.
Tu peux être meilleur auteur que lui ça c’est très clair, tu peux être meilleur dramaturge que lui, tu peux être meilleur metteur en scène que lui ça c’est très clair, tu peux être meilleur enseignant que lui ça c’est très clair, tu peux être meilleur tout ce que tu veux, tu peux être meilleur formateur que lui ça c’est très clair, mais tu peux pas être meilleur que Sony ça c’est impossible.
Et ça, ça n’a rien à voir avec le fait qu’il écrive. Ça n’a qu’à voir avec l’organe pensant qu’il est. Cet espèce de macro-tracteur. Avec des doigts de chair quand on dormait là le lendemain il a fait des tentacules, cet espèce de macro-tracteur sorti de la terre. Voilà. Et c’est pour ça que sa première pièce s’intitule Conscience de tracteur. C’est la première pièce de théâtre qu’il écrit, il publie en 1976. Et le début de cette pièce dit ceci, c’est aussi avec ça que Ferdinand avec Léandre-Alain Baker quand il fait le film à Brazzaville, c’est le premier texte que tu entends dans le film, voix off tu entends cette phrase là, après on montre le fleuve Congo, une pirogue qui passe, et surtout cette voix, cet extrait là dit comme ça en voix off par Pascal Nzonzi avec une meilleure voix où il dit dans le prologue de Conscience de tracteur où il dit: «la première terre est passée, la deuxième terre est passée, la troisième terre est passée, la quatrième terre est passée, la cinquième terre est passée, il y eu 550 millions de terres passées, 550 millions de terres passées emportées à la dérive par l’espace et le temps. Puis le hasard en se mouchant fit l’homme. Et donc, si le hasard ne s’était pas mouché… Il lui donna deux bras et deux mains pour manœuvrer des mondes, de telle sorte que toute la création ne soit qu’une éternelle ébauche. Ébauche ou débauche? C’est à voir.»
C’est comme ça qu’il commence «c’est à voir». Mais le gars, c’est pas de la littérature. C’est de la philosophie pure. Mais laquelle? Mais pas la philosophie de la philosophie. C’est le monstre qui est train de créer son laboratoire. Le monde est inachevé et je crée le mien à l’intérieur. Et ça c’est ce qu’il a fait dans toutes ses œuvres, romans, poèmes, nouvelles, pièces de théâtre, par les premières phrases. Les premières phrases il te dit «c’est foutu», il dit «la première terre est passée». Dans Antoine m’a vendu son destin il commence comment? «Sommes-nous sortis du monde, Riforoni?», dans La Parenthèse de sang, il commence comment? Il dit «Ça commence». Lui il prend le stylo, il le pose sur la feuille, il dit «ça commence» mais c’est pas moi qui commence à écrire, le monde commence, à partir de maintenant. Comme dit Shakespeare au début de Richard III «Et voici l’hiver de notre déplaisir», «et maintenant», ça commence par moi, par l’acte de nommer et que moi je crains. Il dit ça commence, ça commence comme un match de football mais ça ne termine pas. «Les onze du sang contre les onze des entrailles. Et pas d’Afrique dans ce match s’il vous plait, car la situation de l’Afrique est à la limite distrayante. Attention l’arbitre est un ancien fou, il siffle à l’envers.» L’arbitre tu sais c’est qui? C’est lui. «Attention l’arbitre est un ancien fou, il siffle à l’envers.» Donc cette littérature là, c’est à l’envers. Ne la jugez pas par rapport à comment vous lisez le monde, vous allez vous tromper. Retournez là. Retournez là complètement. «L’arbitre est un ancien fou, il siffle à l’envers.» Comment il commence La Vie et demie? «Tout avait commencé quand Chaïdana avait eu 15 ans.» TOUT. Il dit TOUT. Pas cette histoire que je vous raconte. Le monde. Avec les Abraham qui avaient existé avant les Bonguiz, les Mama Ngounga, les Soundiata Keita, les Napoléon, tout ça avait commencé quand Chaïdana avait eu 15 ans. Pour le comprendre tu peux dire «non c’est peut-être moi qui exagère, c’est peut-être pas ça, mais lis la deuxième fois tu vas comprendre.» Il dit «Tout avait commencé quand Chaïdana avait eu 15 ans.» Deuxième phrase: «Mais le temps est par terre». Par terre, par terre. L’air par terre. Il cite tout, par terre. Il dit «même la terre aussi était par terre». Quand Chaïdana avait eu 15 ans, tout est par terre. C’est à dire, c’est le Big Bang. Sony nous parle du phénomène du Bing Bang. Dans toutes ses œuvres. Dont son dernier roman LeCommencement des douleurs, publié de son vivant je veux dire. Ça commence comment? Il dit «tout avait commencé par un baiser puant. Baiser de malheur. Nous avons eu tort, nous à qui l’histoire a piqué 5 siècles.» Il commence comme ça. Dans Les Yeux du volcan, comment il commence? Il dit «C’était le vendredi de machin, quand le colosse arriva sur son cheval dans la ville des crânes…» ben oui, c’est là que c’est parti «quand le colosse a débarqué sur son cheval dans la ville des crânes tout était foutu», comme quand je dis dans Le Socle des vertiges en disant «tout avait mal commencé quand Diego a débarqué de son bateau c’était foutu». Ne cherche pas d’explication c’est foutu. Fallait pas qu’il débarque du haut de son bateau. Dès qu’il a débarqué du haut de son bateau c’était foutu. A partir de là on ne peut plus rien comprendre. Les choses sont devenues sens dessus dessous. Il n’y a plus à expliquer mais c’est mal parti comment est-ce qu’il y a un endroit qu’on a pas bien compris… Non! C’est quand le bateau de Diego Kawa a fait POUM, il n’y a aura plus d’explication, il n’y aura plus rien. Toutes les œuvres de Sony, tu l’as depuis le début. Tu comprends très bien que le gars il est dans son laboratoire, il recrée le monde. À partir de son laboratoire. Et sur l’histoire de l’envers, de l’arbitre qui siffle à l’envers, il le dit dans la préface de La Vie et demie, ça s’appelle écrire par étourderie. Moi qui vous parle de l’absurdité de l’absurde, d’où voulez-vous que je vous parle sinon du dedans de moi-même?». Du dedans. Il crée son laboratoire à l’intérieur de ses couilles, de ses tripes, il se crée sa petite maison à l’intérieur, il invente ses pénicillines. Et donc c’est par étourderie qu’on doit le comprendre. Parce que c’est un ancien fou. Il siffle à l’envers. Là où il ne faut pas siffler pénalty, il siffle pénalty. Quand vous dites que le match est fini, il dit «Non! Le match commence maintenant». Quand vous jouez il dit «Ah non! Vous êtes sérieux». Quand vous êtes sérieux, il dit «Ah ben non, là vous jouez!».
Criss Niangouna Je ne suis pas un bon dessinateur. Mais s’il faut représenter SLT par un dessin, je dirai que: Sony est une forme géométrique, avec des angles droits. Je dis des angles droits pour montrer la justesse, l’exigence mais aussi l’humilité qui a caractérisé sa courte vie. J’ai aussi envie d’ajouter, que c’est la clairière de notre forêt encore vierge qui apporte la lumière qui nous est nécessaire. Tout son travail a consisté, non pas à nous raconter des histoires à dormir debout, mais bien au contraire à nous tirer vers le haut. Nous sortir de la bêtise humaine.
Maintenant que j’en ai fait la description, je vous laisse dessiner.
Témoignages recueillis par l’équipe des Bruits de Mantsina.
Les 27 metteurs en scène et chorégraphes qui ont marqué Mantsina Sony sur scène 2015:
Francois Kah / Julien Mabiala Bissila / Papythio Matoudidi / Cédric Brossard / Michael Disanka / Gilfery Ngambalou / Delavallet Bidiefono / Jean-Claude Kodia / Alphonse Mafoua / Georges Mboussi / Jehf Biyeri / Israël Tshipamba / Cheriff Bakala / Maylis Bouffartigue / Harvey Massamba / Hervé Massamba / Céline Astrié / Monar Dihoulou / Marion Alzieu / Boréale Pongopo / Arnaud Mahoukou / Ella Nganga / Gervais Tomadiatunga Mbanza / Chikadora / Aïpeur Devry Foundou / Julie Peghini / Daniel Scahaise
Quelques interprètes majeurs cités ici pour leurs performances:
Snak Zobel Raoual / Etienne Minoungou / Kader Lassina Touré / Michaël Disanka / Marion Alzieu / Jeanne Videau / Sébastien Bouhana / Christiana Tabaro / Natalia Deparlabas / Nolwenn Peterschmitt / Cognes Mayekou / Alphonse Mafoua / Georgette Kouatila / Mbelo Milandou / Ella Nganga / Francois Kah / Marie-Charlotte Biais / Nicolas Moumbounou / Jehf Biyeri / Pierre Claver Mabiala / Harvey Massamba / Boréale Pongopo / Cheriff Bakala / Armel Malonga / Chikadora / Pidj Boomboomdistortion / I Jah man (respect!)
Ceux qui traversé le festival à bras le texte (lecteurs): Hervé Massamba / Sorel Boulingui / Audifax Moumpossa / Richilvie Babela Ndossi / Martin Ambara / Thales Zokene et la troupe Sac / Laetitia Ajanohun / Cyril Gueï / Ulrich N’Toyo / Sylvie Dyclo Pomos / Arsène Kimbebe / Fortune Bateza / Hermine Yollo
Les plasticiens des ateliers SAHM de Bill Kouélany (pour l’expo Sony): Jordy Kissymoussa / Van Andrea / Artmel Mouy / Paul Alden M’Vout / Gad le beau / Girel Nganga / Francis Kodia / Mantvany / Monroyal / Jordy Aimebeej’air / Anne Garnier / Elwin Gomo / Olmiche Bantsimba.
Ceux qui nous ont parlé en images (réalisateurs): Oury Ochy Kozia / Guy Des Lauriers / Grégory Hiétin / Laetitia Biaggi / Julie Peghini / Marie Carette / Sylvia Voser / Thierry Thomas / Andre S. Labarthe
Les directeurs d’ateliers (jeu d’acteur, mise en scène, vidéo): Claude Bagoë Diane / Mathieu Montanier / Fabrice Gorgerat / Jean-Paul Delore
Les courageux (techniciens et scénographe du festival): Cleo Konongo / Papythio Matoudidi / Vady Kouloutch / I Jah man / David Malonga / Bouesso Donald
Les Mantsinistes non alignés (équipe choc): Diane Chavelet / Amélie Thérésine / Nicolas Martin Granel
Enfin les trois femmes fortes: Sylvie Dyclo Pomos / Noëlle Ntiesse-Kibounou / Nadège Samba.
Bravos à tous! Bravos! Bravos! Bravos! Vous êtes dingues, vous m’arrachez des larmes! je vous aime. Comment il disait ça déjà, Sony?
«Qu’ils sont beaux ces fils de la colère! Un océan de mains levées qui dévaste tout. Quelle magie mes aïeux! Ils viennent de partout. Ils vont accrocher un autre soleil au ciel. Ils dévissent l’histoire. Le peuple est vivant. Un vrai déluge de mains levées. Qui broutent l’air et l’oxygène. En quel monde sommes-nous entrés ce matin, dites-moi? Le soleil est tout d’un bleu et la lune rougeoie comme un visage. Oh mon peuple. Tu es toujours si beau quand tu craches. Quand tu sors gros ton désir de cambrioler l’avenir. J’ai toujours rêvé de cet ouragan de mains tendues. Ce cyclone de bras levés pour agiter la fosse commune et la tendresse du pourrissement. Je vois. J’entends rayonner. Le jour me prend à la gorge. Je lance mon sang à la rencontre de tous les bégaiements.»