On parle de Mantsina sur radio Mucodec!

La journaliste Raitel Yengo a couvert l’édition 2019 du festival Mantsina sur scène lors d’une émission spéciale consacrée au festival! Avec les interviews de Baman Moore qui a participé à l’atelier Les Bruits de Mantsina, de Valérie Manteau qui l’a co-animé avec Julie Peghini, de l’artiste Alégra Nicka qui présentait une exposition de peinture à l’espace des Ateliers Sahm, Stan Matingou qui jouait le monologue L’Aube des insurrections perlières, Aimée Mavoungou régisseuse sur Hamlet de David Bobée…

réécoutez l’émission en ligne:

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Les Bruits de Mantsina vous remercient!

Les participants des Bruits du Mantsina, un atelier journalisme, avec Prince Baman Moore, Credo Eguenin, Roxiane Kouvoulou, Dexter Milandou, Roston Samba, Raïtel Yengo et Rodney Zabakani, mené par Valérie Manteau et Julie Peghini, vous disent au revoir!

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Nous vous retrouvons l’année prochaine. Nous sommes tristes de ne pas avoir couvert pour vous l’intégralité des spectacles du festival, par manque de temps, mais nous ferons mieux l’année prochaine!

Bon vent et que vive le Mantsina!

Mantsina 2019: Le monologue vivant de Stan Matingou

« L’Aube des insurrections perlières » est le recueil de poèmes de Huppert Malanda adapté au théâtre par le comédien Stan Matindou. Ce spectacle vécu le 21 décembre 2019 à l’espace Tabawa à Bacongo, 2e arrondissement de Brazzaville, entrait dans le cadre de la seizième édition du festival international de théâtre Mantsina sur scène. Une chaise en plastique, assistée des feuilles blanches soigneusement posées au sol constituait le décor de ce monologue. Le comédien imperturbable avait deux postures durant le spectacle, même s’il est resté plus debout qu’assis. Il pouvait se faire remarquer à quelques mètres par sa chemise banche enfilée dans un pantalon noir, supporté par des bretelles noires. En dépit de l’irruption des fientes d’un oiseausorti de nulle part sur la tête de Stan Matingou, ses allures sont restées constantes jusqu’au début de l’interview.

Les Bruits de Mantsina: Vous êtes certes un habitué du monologue, mais l’adaptation de la  poésie demande d’autres aptitudes?

Stan Matingou: Ce n’est pas facile, parce que la poésie est un genre hermétique. On a l’impression que c’est réservé à une élite. Ce que j’ai apprécié de prime abord dans ce texte, il parle de l’Afrique, et du printemps arabe que je n’ai pas mis. Je crois que je vais revoir mon spectacle à l’avenir. Il parle de la vie, de la fleur, de l’eau; de tout. C’est magnifique comme texte!

Les Bruits de Mantsina: Vous avez su donner un visage à ce texte.
Stan Matingou: Ah ben oui! C’est ça! Le théâtre est un art vivant. Si tu n’as pas vraiment la perche, ce n’est pas la peine. C’est pourquoi l’adaptation de la poésie au théâtre ne doit pas dépasser une heure. Sinon, les spectateurs se fatiguent. Ils ne vont rien comprendre. Il ya tellement de mots qui s’enchainent. Il faut à la rigueur 45 minutes dans l’adaptation de la poésie au théâtre.

Les Bruits de Mantsina : Ce texte de Huppert Malanda, vous l’avez choisi ou il vous a été imposé?
Stan Matingou: J’ai  choisi ce texte. L’auteur est un ami de plus d’une décennie. Très souvent, on s’échange les livres. A chacune de ses parutions, il m’envoie toujours un exemplaire. Ce texte: ‘’l’Aube des insurrections perlières’’ je l’ai préféré depuis des années. Mais l’auteur ne me donnait pas l’autorisation de le jouer. Mais là pour Mantsina, j’ai forcé la main et il a autorisé et a même participé à la préparation du spectacle.

Les Bruits de Mantsina: A ce spectacle, il y a eu des pas : ‘’un, deux ; un, deux ». C’est votre ajout ou cela fait partie du texte?
Stan Matingou: Oh, c’est moi qui ai ajouté pour faire vivre le spectacle. Vous savez, quand vous lisez le texte, vous trouverez certains détails qui méritent une illustration. C’est une façon d’accompagner l’auteur qui voulait dire que nous avons beaucoup marché. Nos grands parents ne sont pas d’ici. Ils ont quitté le village pour la ville. Donc, ils ont marché jusqu’à « l’intermittent clin d’œil des nations et d’agonies’’. Bon! L’auteur parle de ce qu’on a connu: les guerres et d’autres évènements malheureux.

Les Bruits de Mantsina: Stan Matingou, en adaptant ce texte, vous avez cité beaucoup de fruits: cerise, pastèque. La pastèque, vous l’avez manipulée dans le film congolais « Entre le marteau et l’enclume » d’Amog Lemra. Quelle relation avez-vous avec ce fruit?
Stan Matingou: C’est juste une coïncidence. Dans le film « Entre le marteau et l’enclume » la pastèque était une image pour signifier le degré de sorcellerie du beau-père que j’incarnais. Mais dans ce texte ’l’Aube des insurrections perlières’’, je ne sais vraiment pas ce que représente la pastèque pour les uns et les autres. Vous savez, les auteurs délirent un peu (Rires). Il a juste dit ‘’Mon espérance grosse comme une boule de pastèque a mûri dans l’évanescence qui dévale de connivence ». C’est de la poésie. Je ne sais pas ce que ça signifie. L’espérance grosse comme une pastèque? Peut être qu’il a une grosse espérance. C’est comme on dit: il a une espérance grosse comme une maison. Je n’en sais rien. Mais j’adore aussi manger de la pastèque (Rires).

Propos recueillis par Raïtel YENGO à Brazzaville, le 24 décembre 2019
Article écrit dans le cadre de l’atelier les Bruits de Mantsina

Mantsina 2019: New Feeling, I Jah Man

Auteur, compositeur, chanteur, I Jah Man est l’un des pionniers de la musique reggae au Congo Brazzaville. De son vrai nom Serge Roger MAYAMA, ses différentes prestations au sein de l’IFC du Congo et dans des quartiers populaires de Brazzaville, comme à Poto-Poto et au stade Félix Eboué, sont toujours très remarquées. A Matour le 22 décembre, il a mis le feu lors de son concert de clôture du festival, , dans l’euphorie des festivaliers. L’artiste a à son actif deux albums, Vers la ruine et Ma Na Muini (que l’on peut traduire par Ce que j’ai vu et vécu). 

Dexter Milandou
Article réalisé dans le cadre de l’atelier les Bruits de Mantsina

Mantsina 2019: Entretien avec Harvey Massamba, autour de La Gueule de Rechange de Sony Labou Tansi – compagnie N’Sala

La scène a lieu à Fontainebleau puis à Paris, en 1996. C’est l’histoire d’un peintre, Lebamb’ou-Gatsé, qui déclenche par un tableau, La Gueule de Rechange, une vague de folie, une catastrophe cosmique, qui ravage toute la région de Fontainebleau et provoque des embouteillages où des millions d’automobilistes sont pris au piège. C’est une pièce où Sony Labou Tansi montre combien l’univers et sa grandeur sont incommensurables à la science et combien les réponses des scientifiques sont comme des cailloux dans la bouche d’un affamé. Retour sur cette mise en scène, unique à ce jour, sur un texte peu connu de Sony Labou Tansi, publié en 2015 (dans La Chair et l’Idée, Les Solitaires intempestifs, Paris). 

La Gueule de rechange à l’IFC lors de Mantsina 2019

Notes de mise en scène:
Toute la scène devient une fête foraine, une foire aux idées. Chacun vient y déverser sa gueule comme avec une radio de poche dans les mains du régime. A l’impitoyable gymnastique esthétique de l’auteur, je riposte par une impitoyable gymnastique scénique. Une gymnastique des corps et des tableaux, une gymnastique du dire, du comment dire par la voix, le souffle, par la sueur, par le geste… bref par l’acte théâtral. Dans La Gueule de rechange j’éprouve le corps de l’acteur, il devient matériau, il devient produit de fabrication, matière première d’une usine de fabrication de ce peut être esthétique dont parle Sony. Tout se construit et se déconstruit au fil des scènes. S’éprouvent aussi la parole et les idées.

J’ai opté pour une scène vide afin que l’ensemble du spectacle ressemble à un tableau qui se peint en direct, une toile qui se tisse devant les yeux du public et dont le matériau et les ingrédients ne sont autres que le corps des acteurs.

L’énergie que les comédiens déploient dans La Gueule de rechange, cette envie de dévaluer la tête au profit du cœur, arrive dans la sincérité vers le public, dans la simplicité de l’acte d’être. La complicité pétillante de cette jeunesse volontariste et prête à boxer jusqu’à la dernière goutte de salive devrait permis que l’acte théâtral soit tonitruant.

Harvey Massamba

Harvey Massamba

Les Bruits du Mantsina: Pourquoi le choix de ce texte Harvey Massamba?  

Harvey Massamba: Dès que je l’ai lu, ce texte m’a tout de suite interpelé et j’en suis tombé amoureux. Finalement les textes de Sony ont cette manie de me rendre bleu d’amour pour eux puisque pour la petite histoire c’est aussi parce que je suis tombé fou amoureux de Antoine m’a vendu son destin que je suis arrivé au théâtre. Donc après lecture, j’ai trouvé que La Gueule de rechange était le texte du moment parce que bien qu’étant écrit en 1974, il est d’une actualité percutante. Au-delà de ce fait, il y a entre ce texte et moi beaucoup d’autres liens par exemple: le personnage principal s’appelle Lebamb’ou- Gatsé et moi Massamba Ngatsien, vous me diriez oui mais où est le lien? Eh ben, Gatsé et Ngatsien c’est au fait le même nom, un nom Téké qui signifie propriétaire de terre. Deuxièmement, je suis né le 2 juin 1974 et Sony a achevé l’écriture de ce texte le 2 août 1974, donc deux mois juste après ma naissance. Et enfin, en lisant l’historique de ce texte j’ai découvert que La Gueule de rechange et moi nous sommes frères du même village. Sony a amorcé réellement l’écriture de ce texte en voulant échapper au couroux du représentant du PCT (le parti au pouvoir en ce moment et encore aujourd’hui) suite à un spectacle dont le texte n’avait pas plu au représentant de ce parti à Kindamba.

Les Bruits de Mantsina: Nous avons tous été impressionnés par l’inventivité de votre mise en scène, la créativité de votre rapport scène / salle. Comment s’est passée cette nouvelle mise en scène de La Gueule de rechange, puisque vous l’aviez déjà mise en scène avec d’autres comédiens en 2015, lors de l’édition de Mantsina consacrée à Sony Labou Tansi?

Harvey Massamba: Déjà, il me faut dire que pendant trois ans, je n’ai plus vraiment travaillé, joué, mis en scène. Sinon récemment, où j’ai travaillé à Pointe-Noire suite à la venue de David Bobée, avec les acteurs qu’il avait amené à Pointe-Noire. Lui travaillait avec les comédiens congolais sur Hamlet et moi je travaillais avec les comédiens français sur un texte d’un auteur congolais, Le destin glorieux du maréchal Nnikon Nniku, prince qu’on sort de Tchicaya U Tam’si (Présence Africaine, Paris, 1979). L’idée maintenant est de rassembler des moyens pour faire revenir les acteurs français et les mêler avec les acteurs congolais pour finaliser cette pièce. Cela va prendre du temps pour trouver les moyens pour travailler à ce projet. Relancer La Gueule de rechange, dans cette envie, je me suis confronté à une réalité, c’est que la majorité des acteurs qui étaient là dans la première version ne sont plus là. Un comédien est à Lille pour se former dans une école de théâtre, une comédienne est au Maroc, une autre est très occupée avec le slam, en tout cas, c’est une vraie satisfaction pour moi de savoir que cette première génération de comédiens sortis de mon école, chacun a su se faire une place et évoluer. Là mon idée, c’est de former un nouveau groupe de jeunes pour que l’on n’ait pas cette pénurie d’acteurs sur le terrain, parce que c’est cette pénurie qui fait que Boris Esprit Mikala II se retrouve dans quatre spectacles pour une seule édition! Cela devient pesant pour eux, et pour Boris, c’est difficile d’être au maximum de ses capacités, c’est le corps, et cela demande du temps de mûrir un personnage, quand bien même il a beaucoup de talent.

Quand je décide de reprendre La Gueule, j’essaie d’y apporter quelque chose de nouveau. Au fil des réflexions, je me suis dit je vais essayer de ne pas distribuer un comédien par rôle, je vais essayer de voir comment les comédiens peuvent s’interchanger tous les rôles au fil du spectacle. Après j’y ai mis une limite, pour les personnages principaux, au fur et à mesure que l’on avançait. J’ai utilisé un masque neutre, pour Schneider par exemple, jouée par plusieurs comédiennes. Lors de la première version, j’avais pris en charge la préface et les commentaires de l’auteur à l’intérieur de la place, là je me suis dit je vais essayer d’éclater cela pour apporter de la diversité au niveau de la narration en montrant que c’est toujours la même personne qui parle. J’ai mis des maques pour cela comme je vous le disais, au début. Je me suis dit quel est le jeu, quel est l’acte théâtral que je pose avec ces préfaces? J’ai pensé à notre enfance, au jeux au clair de lune où on se raconte des histoires. D’où ce premier tableau, qui sont des avertissements de Sony sur cette chose qu’il était en train d’écrire. On joue et en même temps, on fait passer le texte. Et puis, finalement, j’avais personnellement voulu ne pas être dans la pièce, pour avoir de la distance, surtout que pour une bonne partie d’entre eux, c’est leur première scène, ils sortent pour la plupart du slam, comme les deux comédiennes, je voulais prendre du temps pour les emmener au théâtre. Mais l’un des comédiens n’a pas pu aller jusqu’au bout du travail, trop occupé et à cinq jours de la représentation, j’ai pris son rôle. 

Les Bruits du Mantsina: Combien de temps avez-vous eu pour répéter ce spectacle?  

Harvey Massamba: Nous avons eu trois semaines seulement pour la monter, et aucun budget. Pour les costumes, et quelques éléments de décor, nous avons fait de la récupération. On a fabriqué des choses avec rien, vraiment. Là où j’ai réussi à motiver l’équipe, je leur ai dit que je n’aimais pas créer un spectacle sans lendemain, je leur ai dit si pendant les trois ans je n’ai pas créé, c’est à cause d’une situation compliquée personnelle, désormais, cela va mieux et je peux essayer de chercher des partenaires pour faire tourner ce spectacle et le montrer ailleurs. J’ai beaucoup réfléchi pour créer quelque chose de joyeux et de vivant, où tout bouillonne. L’introduction de la musique en live me permet aussi d’introduire cette effervescence sur le plateau. J’ai encore du travail, pour que le rythme soit tenu sur toute la durée du spectacle (1h45), pour raccourcir certaines scènes, je vais le faire, car j’aimerais porter loin ce texte. 

Texte: Sony Labou Tansi
Mise en scène: Harvey Massamba
Assistant à la mise en scène: Fann Attiki Mampouya
Avec: Theresa Diakanua N’silu, Guervie Gobouang, Harvey Massamba, Boris Esprit Mikala II, Bienvenu Makita, Thalès Bourgeois Zokene, Fann Attiki Mampouya
Musique: Abia Makita

Entretien mené dans le cadre des ateliers Les Bruits de Mantsina

Lire aussi: Entretien avec Harvey Massamba et Julie Peghini sur Africulture, lors de la mise en scène de La Gueule de rechange à Mantsina en 2015

Mantsina 2019:  Bref retour sur L’Or des Femmes, compagnie Ku Konde, texte de Mambou Aimé Gnali, mise en scène Jehf Biyéri

Les comédiens de L’Or des Femmes lors de la soirée d’ouverture de Mantsina 2019

Aimé Gnali Mambou est une écrivaine, ancienne ministre de la Culture de la République du Congo. Le festival Mantsina sur scène a programmé cette mise en scène d’un des textes d’Aimé Gnali Mambou, L’Or des femmes, le jour de l’ouverture du festival.  Le metteur en scène est un militant de l’art théâtral congolais, Jehf Biyéri. Il s’agit de l’histoire d’une jeune fille qui n’a pas le droit de choisir l’homme qu’elle aime et d’un jeune homme qui ne peut pas plus choisir la femme qu’il aime. Nous sommes ici dans un contexte où ce choix échoit à l’autorité parentale, plus encore à une autorité socialement hiérarchisée. Bouhoussou est soumise aux rites d’initiation traditionnels vili et est destinée, au sortir de cette initiation, à épouser «L’or des femmes», un homme noble, polygame et plus âgé qu’elle. Personne ne peut aller à l’encontre de ces décisions, pas même le beau Mavangou qui l’aime, et la colère gronde parmi les jeunes, comme s’il suffisait seulement d’avoir de la fortune et de l’âge pour s’approprier «l’or des femmes». 

Le temps passe, les époques changent et pourtant les mêmes problèmes reviennent. Cette pièce nous montre toujours hélas une certaine réalité quotidienne. Il s’agit du fameux conflit des générations qui reste dissimulé derrière tant de situations sociales les plus actuelles. 

Comment briser les normes établies par la tradition, nous n’avons pas fini d’y réfléchir!

L’Or des Femmes, compagnie Ku Konde, texte de Mambou Aimé Gnali, mise en scène Jehf Biyéri

Dexter MILANGOU
Article réalisé dans le cadre des ateliers Les Bruits de Mantsina

 

Mantsina 2019: Coup de coeur final pour Jazz et vin de palme, de la compagnie Cap Congo sur un texte d’Emmanuel Dongala 

Juvhet Badinga, Vesna Mbelani, Loïck Ngoukou, Maël Minkala, Karel Kouelani (c)Peghini

Ce spectacle de danse, présenté en clôture du festival Mantsina sur scène (qu’on avait pu voir la semaine précédente dans le festival de danse Bo Ya Kobina, à Kombé), a provoqué un tonnerre d’applaudissements.  La compagnie Cap Congo nous y fait découvrir des extraits de Jazz et vin de palme, un texte d’un auteur congolais, Emmanuel Dongala, avec un rapport entre chorégraphie et texte tout à fait créatif et surprenant. 

Jazz et vin de palme est un recueil qui condense des nouvelles aux thématiques très variées dénonçant différents fléaux, l’oppression, la non-acceptation de l’autre, la guerre pour le pouvoir…
Le spectacle nous fait découvrir pêle-mêle l’histoire d’une jeune femme commerçante, Amaya, dont la carte d’identité a été égarée par les agents de l’administration, ainsi que le procès de Monsieur Likibi accusé d’avoir provoqué la sécheresse dans le village en arrêtant la pluie le jour du mariage de sa fille ou encore l’arrivée de gens différents qui se font la guerre. 

Par leur créativité, ces histoires ont été magnifiquement interprété dans le corps des danseurs, quatre hommes et une femme (il faut souligner là combien Vesna Mbelani, toute jeune danseuse issue d’une troupe traditionnelle, est d’ores et déjà une magnifique danseuse contemporaine), lesquels s’approprient aussi bien des danses traditionnelles que contemporaines, comme le coupé décalé et le hip hop, notamment le krump. 

Chaque tableau nous a frappé, comme une facette de la réalité de la société congolaise.  Une société où certains sont marginalisés, méprisés et humiliés par les gens détenteurs du pouvoir, avec en prime le laxisme de l’administration, sa violence et son absurdité.

La compagnie Cap Congo a travaillé dur pour devenir ce groupe, ce collectif, qui sait être ensemble tout en conservant les singularités de chacun. Chaque danseur a son style, de la tradition au plus contemporain, et tous ensemble, dans une grande complémentarité, en dansant sur le plateau avec des éléments très simples, comme des bancs, des percussions, des bois, composent un corps collectif particulièrement émouvant. Il faut souligner combien la lumière du spectacle rend honneur à ce corps collectif, par ses nuances et ses subtilités, ainsi que la musique, un mélange de sons composés pour le spectacle et de morceaux plus connus. 

Comme l’a souligné un spectateur, «la compagnie Cap Congo est le reflet de la société congolaise, où chacun est différent et dans laquelle nous aspirons à ne former qu’un».

Les spectacles de danse apportent beaucoup selon nous au festival Mantsina sur scène, la scène congolaise contemporaine est bouillonnante même si nous regrettons que les femmes n’y soient pas encore assez nombreuses. 

Juvhet Badinga, Vesna Mbelani, Loïck Ngoukou, Maël Minkala, Karel Kouelani (c)Peghini

Jazz et vin de palme, un spectacle de danse de la Compagnie Cap Congo sur un texte d’Emmanuel Dongala
Chorégraphie, dramaturgie et adaptation: 
Herman Diephuis / Cap Congo
Avec: Juvhet Badinga, Vesna Mbelani, Loïck Ngoukou, Maël Minkala, Karel Kouelani
Son et Lumière: Cléo Konongo

Roxiane KOUVOULOU
Article réalisé dans le cadre des ateliers Les Bruits de Mantsina

Mantsina 2019: Ombres, work in progress de Nicolas Moumbounou

OMBRES Nicolas Moumbounou et le slammeur Guer2mo (c)OrnellaMemba

Ce solo de danse a eu lieu le 14 décembre 2019, lors de l’ouverture du festival Mantsina sur scène. Sur la scène se déroule un parcours chorégraphié, dont les différentes étapes sont aussi précises qu’explicites. Parcours d’un homme noir, d’un Nègre, lors de la période de l’esclavage et du commerce triangulaire. Différentes émotions, de la rage à la souffrance, s’expriment. Il s’agit d’un homme qui succombe à la fatalité pour le simple fait d’être noir. Parcours qui est aussi contemporain, celui de tous les êtres humains aujourd’hui vendus comme du bétail, comme si l’histoire se répétait en changeant de forme.
L’artiste se confie à nous en retraçant la genèse de son travail, encore en chantier. Il s’agit pour lui de cet héritage qui hante sa personne venant de cette réalité historique, du poids de toutes ces souffrances, de ces humiliations qu’ont vécues ces ancêtres noirs et qui pèsent sur lui, à tel point qu’il ressent parfois que le regard que les autres portent sur lui est encore identique à celui porté sur ces nègres d’antan. Ce malaise, il arrive dès le début du solo, avec cette phrase : «Dans une boîte où je suis, il fait chaud, je suis bouffé par des moustiques». Le regard de l’autre pèse sur lui, il reflète cette ombre, ombre de l’image du nègre qui lui est renvoyée. Un texte l’a beaucoup inspiré pour ce solo, Black Label de Léon-Gontran Damas.

Ce solo est une invitation du danseur et chorégraphe à briser le silence, le sien d’abord, et une invitation aux spectateurs pour qu’ils transcendent les différences et les tendances discriminatives. 

Ombre, danse (work in progress) par et avec Nicolas Moumbounou, avec le slameur Guer2mo présenté le 14 décembre en ouverture du festival Mantsina 2019

NB: Le spectacle Ombres sera présenté au CDN de Normandie Rouen les 28 et 29 mai 2020, lors d’une soirée composée Congo(s) avec un spectacle de Faustin Linyekula!

 

Dexter MILANDOU
Un article réalisé dans le cadre des ateliers Les Bruits de Mantsina

Mantsina 2019: Entretien avec Sylvie Dyclo Pomos, directrice artistique du festival Mantsina sur scène

Les Bruits de Manstina: A quand remonte la première édition de Mantsina et quel est le parcours du festival?

Sylvie Dyclo-Pomos: Le parcours de Mantsina remonte à 2003. Ce festival a été créé par Jean Felhyt Kimbirima, Arthur Vé Batoumeni, Abdon Fortuné Koumbha, Ludovic Louppé et Dieudonné Niangouna, avec leurs compagnies, la Compagnie Deso, la Compagnie Salaka, la Compagnie KAF et Les Bruits de la Rue, et par la suite, plus tard, la Compagnie LudoSylvie dont je fais partie.

 Les Bruits de Mantsina: Pourquoi avoir choisi ce thème, « le dynamisme d’une jeunesse », pour cette 16e édition?

Sylvie Dyclo-Pomos: Nous l’avons choisi parce que l’on voit les réalités au Congo et plus précisément celles de Brazzaville. Les jeunes sont livrés à la vie de boisson, avec des actes de violence et de barbarie créant ainsi des phénomènes qu’on appelle aujourd’hui les Américains, les Arabes, les Koulounas, les Bébés noirs et autres. Alors je me suis dit que nous avons pour travail l’art, et qu’on ne donne que ce que l’on a, donc pour moi Mantsina dédie cette édition à la jeunesse. Car comme je l’ai dit à l’ouverture, un jeune qui est dans l’art ne peut pas penser à prendre une machette pour tuer, mais plutôt à prendre une machette pour tailler le bois puis en faire une œuvre d’art. C’est ainsi qu’un jeune qui est tourné vers l’artistique ne peut pas être hanté par la violence, alors on s’est dit cette édition sera l’édition de la jeunesse.

Les Bruits de Mantsina: Les pièces de théâtres choisies ont-elles réveillé les consciences? Pouvez-vous nous en citer quelques unes?

Sylvie Dyclo-Pomos: Oui bien sûr nous avons assisté à des pièces comme Cendres sur les mains de Jean Clauvice Ngoubili, l’Afrique dans la main du diable de Justin Pametoyi Ayuka, 7 milliards des voisins de Carlos Zinsou par exemple. Ce sont des pièces qui font réfléchir sur beaucoup de réalités comme l’immigration etc.

Les Bruits de Mantsina: Que pouvez-vous dire sur votre choix de programmer la pièce Au Coeur des hommes sur Savorgnan de Brazza?

Sylvie Dyclo-Pomos: La pièce sur De Brazza a suscité beaucoup de réactions, c’est normal. Vous savez, c’est un sujet délicat à l’international, ça a fait des tonnerres du fait qu’ici on a construit un mémorial. Pourquoi dépenser autant d’argent pour construire un mausolée d’une personne issue de cette histoire coloniale au lieu de construire des écoles ou des hôpitaux? Cette pièce avait été programmé à l’IFC et j’étais présente bien que je n’avais pas pu finir d’assister à la pièce du fait d’un appel urgent, mais la manière dont le metteur en scène avait abordé ce sujet ne m’avait pas satisfaite et je me suis dit qu’il y a un problème et qu’il faut en parler parce qu’il n’est pas sur une bonne voie. Quelques mois plus tard, il m’envoie par chance le dossier pour Mantsina et je me suis dit tant mieux, c’est l’occasion pour en débattre à l’espace carrefour, parce que Mantsina est un lieu de débats et de rencontres où nous débattons de tout. Il faut exposer tous les faits et il y a débat. Voilà pourquoi j’ai programmé cette pièce et vous avez vu vous-même les retours que nous avons écouté à l’espace carrefour où le metteur en scène était présent. En résumé: Pierre Savorgnan de Brazza n’était pas un saint et ce n’est pas normal que le metteur en scène / auteur ne le présente que sous ce jour humaniste dans tout ce qu’il faisait et je pense que ça fait réfléchir le metteur en scène, ça remet en cause ce qu’il a fait et cela le poussera à chercher davantage au lieu de rester sur sa position.

Les Bruits de Mantsina: Pourquoi le programmer dans un quartier comme Makélékélé qui est déjà assez sensible?

Sylvie Dyclo-Pomos: Mais dans tout ça, il faut noter que de nombreux jeunes ne maîtrisent même pas qui est De Brazza et c’était pour nous un moyen de leur faire connaître cette histoire qui est la nôtre car certains n’ont jamais été à l’école et cela peut aussi être l’une des raisons qui peut faire que l’homme dans ce secteur soit si violent. Les informer valait la peine. Est-ce qu’ils savent pourquoi notre ville porte le nom de De Brazza ? Qu’il était un colon ? Ce spectacle ne peut pas créer de violence.

Les Bruits de Mantsina: Quel sera le thème de la prochaine édition?

Sylvie Dyclo-Pomos: L’édition prochaine, donc la 17e édition, aura pour thème «S’ouvrir davantage au monde», je ne sais pas si ça va changer mais je ne pense pas. Et nous avons déjà commencé les démarches du prochain festival.  

 Les Bruits du Mantsina: Avez-vous déjà reçu des menaces, ne serait-ce que verbalement?

Sylvie Dyclo Pomos: Je ne me suis jamais sentie véritablement menacée, physiquement ni verbalement. Mais une fois, lors de la 10e édition, j’étais passé en direct sur la Télé Congo, au JT de 20h et j’avais dit que nous avions reçu une aide de la part de la mairie de Brazzaville de cinq millions que nous n’avons jamais encaissée. Et après, il y a un monsieur qui a appelé Noëlle [l’administratrice du festival] pour lui dire que ce n’était pas acceptable que je sois passée à la TV pour dire une telle chose. Mais cela s’est arrêté là.

Les Bruits du Mantsina: Comment arrivez-vous à tenir ce festival?

Sylvie Dyclo Pomos: On tient le festival grâce à des subventions qui sont accordées par les mécènes de bonne volonté, qui nous aident, et des institutions. Ce n’est pas toujours sous la forme d’une aide financière mais parfois ce sont des échanges et des services.

Les Bruits du Mantsina: Quelles ont été les difficultés pour cette 16e édition?

Sylvie Dyclo Pomos: Ce sont surtout des difficultés financières. Nous avons l’aide de l’OIF et de l’IFC Paris, mais hélas, celles-ci ne sont pas encore parvenues sur notre compte du festival, alors que le festival est désormais fini… Nous avons logé des invités dans les hôtels, et là les gérants nous demandent l’argent qui leur est dû, les invités sont à présent sur le retour et ce n’est pas facile à gérer.

Les Bruits du Mantsina: Pourquoi Mantsina ne se passe qu’à Brazzaville?

Sylvie Dyclo Pomos: Le souhait est que le Mantsina puisse se passer dans plusieurs villes, mais cela n’est pas possible car au niveau national, nous n’avons pas d’aides, ni du ministère de la Culture ni de quiconque et on ne veut plus aller vers les autorités, puisque même lorsqu’on le fait, même lorsque nous avons fourni les documents nécessaires, au finale, rien ne se passe. Et pourtant la mairie de Brazzaville devrait financer ce genre d’activités, qui contribuent à la visibilité et à la fierté de Brazzaville et du pays en général. Par exemple, la mairie d’Abidjan finance les œuvres culturelles de cette ville.

Les Bruits du Mantsina: Est-ce que l’édition 2020 du festival Mantsina ne sera programmée qu’à Brazzaville?

Sylvie Dyclo Pomos: Oui, seulement Brazzaville, sauf si de nouvelles subventions nous permettent d’élargir notre champ d’action, et là nous pourrions aller à Pointe-Noire et même Dolisie, puisqu’il y a déjà eu une édition, celle de 2015, où nous sommes allés à Pointe-Noire.

Les Bruits du Mantsina: Croyez-vous que les pièces de théâtre programmées ont eu de l’influence sur la jeunesse congolaise?

Sylvie Dyclo Pomos: Bien sûr, surtout la pièce sur les migrants, L’Afrique dans la main du diable, cela vous laisse vraiment dans un état de réflexion.

Les Bruits du Mantsina: Comment faites-vous la sélection des pièces?

Sylvie Dyclo Pomos: Nous recevons les dossiers par internet, car il n’est pas facile pour nous de nous déplacer dans d’autres villes. Par rapport à notre thème, nous recevons différents dossiers, nous les analysons puis nous essayons de voir les pièces si cela nous est possible, ou de nous renseigner dessus grâce à des personnes qui ont déjà suivi la pièce. La réception des dossiers se fait dès janvier, sur le mail du festival ou le mien, chaque année, puisque c’est en décembre que nous l’organisons.

Les Bruits du Mantsina: Avez-vous un message particulier à transmettre aux mécènes de Mantsina?

Sylvie Dyclo Pomos: Nous ne refusons aucune aide, car nous faisons avec les moyens du bord et ce n’est pas facile. Nous avons reçu une lettre de la part de Sanza de Mfoa de GPY. Mantsina sur scène est nominé et donc ce 28 décembre, nous serons à Olympia pour le trophée des créateurs.

Les Bruits du Mantsina: Quel rapport pourrait-il y avoir entre Mantsina et le théâtre scolaire?

Sylvie Dyclo Pomos: Il y a déjà un festival de théâtre scolaire qui existe, nommé FETESCO mais Mantsina sur scène est réservé pour un théâtre professionnel. De plus, Mantsina sur scène se passe en décembre, pendant les examens et juste avant les congés.

Les Bruits du Mantsina: Comment faites-vous avec tous les artistes invités et étrangers européens qui viennent pour Mantsina?

Sylvie Dyclo Pomos: Déjà, il faut le dire, toutes ces personnes sont des amis du Mantsina, on les appelle les Mantsinistes de la diaspora, qui paient leurs billets. Soit ils viennent jouer un spectacle, soit ils viennent animer des ateliers.  Ils sont un grand soutien, un très grand soutien pour Mantsina.

Les Bruits du Mantsina: Quelle est la signification de Mantsina?

Sylvie Dyclo Pomos: Mais il fallait commencer par là! Mantsina en langue kongo veut dire un parfum, une bonne odeur, donc mantsina, c’est le parfum qui se dégage sur scène, un travail bien fait sur scène.

Les Bruits du Mantsina: Pourquoi ce nom? Est-ce que cela reflète bien la réalité de Mantsina?

Sylvie Dyclo Pomos: Bien sûr, vous voyez le travail que font les artistes, vous voyez comment ils bossent dur! Si le cercle Sony Labou Tansi n’était pas envahi par les kermesses aujourd’hui, vous auriez vu comment ils y travaillaient de 8h à 22h.

Les Bruits du Mantsina: Y-a-t-il des conflits au sein de l’équipe qui organise le festival?

Sylvie Dyclo Pomos: Non, nous avons tous la même vision du festival. Lorsqu’il y a un sujet à débattre, on pose le sujet sur la table, on en discute et à la fin, il y a toujours une solution, on décide ensemble.

Les Bruits du Mantsina: Merci et longue vie au Mantsina!

Entretien mené par Credo Eguenin, Dexter Milandou, Roxiane Kouvoulou et Rodney Zabakani dans le cadre de l’atelier Les Bruits de Mantsina, le 22 décembre 2019 à Brazzaville.

 

Mantsina 2019: Entretien avec David Bobée et Pierre Claver Mabiala, à propos d’Hamlet

Coup de coeur de l’atelier Les Bruits de Mantsina, le Hamlet mis en scène par David Bobée avec les comédiens de Pointe-Noire nous a déjà inspiré deux articles: (voir ici et ici)
Nous avons profité de la rencontre avec l’équipe artistique à l’espace Carrefour, après les représentations, pour poser quelques questions au metteur en scène, David Bobée, et au producteur du spectacle (qui joue aussi dedans), Pierre Claver Mabiala.

David Bobée / Pierre Claver Mabiala

Les Bruits de Mantsina: Pourquoi vous avez choisi de mettre en scène Hamlet?

David Bobée: L’idée au départ était de faire un stage de formation en dix jours, mais je n’avais pas envie de cela, j’ai préféré faire une création, pour que les artistes jouent et ne soient pas mis en position d’apprenant avec un supposé sachant. Je n’avais que dix jours, donc j’ai choisi un texte que je connaissais très bien. On a créé le spectacle en janvier dernier à Pointe-Noire, on l’a montré en juin, la directrice du festival Mantsina, Sylvie Dyclo Pomos, l’a vu et a souhaité inviter le spectacle, pour essayer de créer un lien entre les artistes de Pointe-Noire et de Brazzaville et de créer une résonance dans la capitale du pays où il s’est créé.
Jouer Hamlet dans le cadre du Mantsina, évidemment, ça crée une résonance politique, toute une dimension de résistance par rapport à un ordre du monde inacceptable, irrespectueux de la vie humaine, il y a chez Hamlet quelque chose d’une agitation qui va essayer de renverser l’ordre du monde, de faire pourrir ce qui n’arrive pas à pourrir, d’essayer de faire advenir des endroits de vérité. Pour ce festival engagé, militant, qui ne cesse de faire réfléchir le Congo et les Congolais, cela ne peut que résonner.

Les Bruits de Mantsina: Est-ce que par rapport au thème du festival, «le dynamisme d’une jeunesse», vous pensez que c’est une pièce qui peut faire réfléchir la jeunesse congolaise?

David Bobée: Hamlet, c’est une excuse. Ce qui parle à la jeunesse aujourd’hui, ce sont les artistes d’aujourd’hui, qui sont des jeunes pour la plupart. Les acteurs, ce sont des hommes et des femmes qui s’emparent de ce texte et c’est cela qui parle à la jeunesse je pense. On a eu des centaines d’enfants qui ont passé leur journée à nous regarder répéter et qui à la fin connaissent par cœur la réplique d’Hamlet « être ou ne pas être» , c’est quelque chose de très beau. En fait, ce texte là fait partie d’un patrimoine universel, c’est important de s’échanger ces outils de pensée, de nourrir une culture commune, de provoquer cette rencontre entre le théâtre élisabéthain de Shakespeare et la culture congolaise d’aujourd’hui.

Pierre Claver Mabiala: Cette astuce qui a fait qu’on s’est mis ensemble au départ, c’est aussi parce qu’il y a eu des comédiens français qui sont venus travailler [à Pointe-Noire] sur une mise en scène d’Harvey Massamba. Il n’y a pas de pièce qui doit parler à tel public ou tel autre. On a fait un travail, on a travaillé avec des artistes. Vous connaissez l’histoire de Sony Labou Tansi, il travaillait en fonction des comédiens qui étaient avec lui. Là où je loge, à Diata, il y a un comédien qui a travaillé avec Sony, qui était avec lui à Pointe-Noire et qu’il avait ramené à Brazzaville. C’est ce qui faisait la force de Sony. Il a vu les acteurs, il a vu le contexte et il a demandé aux acteurs de s’exprimer. C’est cela la vraie force du théâtre, comment on prend un texte qui vient d’ailleurs, et comment avec son quotidien, on le renvoie sur la scène. D’autres metteurs en scène peuvent faire autrement, lui David l’a fait comme cela, nous en sommes très contents. David donne cette liberté aux artistes de s’exprimer, nous en sommes très heureux.

Les Bruits de Mantsina: Est-ce que les références congolaises dans le spectacle favorisent la communion avec le public congolais?

Pierre Claver Mabiala: Si un jour on va jouer au Chili, on ne va pas prendre des chansons du Chili, on le jouera comme cela! Nous on veut marquer la pièce avec son identité de base, elle s’est jouée ici, avec les comédiens de Pointe-Noire, avec leur interprétation, et c’est notre version, on le porte comme cela.

David Bobée: Un texte écrit au 16e siècle en Angleterre dans la réalité d’alors, cela a autant à voir avec moi que cela a à voir avec vous! C’est un texte très riche, universel, qui peut se partager. Quand je monte Hamlet en France, je le fais avec ce que les comédiens amènent, en fonction de qui ils sont. Ici, le contexte influe sur la mise en scène, les artistes amènent la créativité qui est leur culture. La culture, ce n’est pas tant une façon de faire qu’il faudrait reproduire. C’est ce qu’on hérite dans des racines très variées, ce que l’on fait aujourd’hui avec les gens qui nous entourent, ma culture elle se transforme, là, avec ma rencontre avec les comédiens. Je ne suis pas sûr qu’on ait fait Shakespeare à la sauce congolaise, je suis sûr qu’on a fait Shakespeare au Congo. La rencontre qu’il y a là, entre un Français et des Congolais, a une influence. On n’a pas voulu exotiser Shakespeare, on lui a rendu hommage avec ce que sont les comédiens, avec la culture des acteurs et actrices qui sont là. C’est une façon de penser de nouvelles relations pour moi. J’ai accepté de monter un spectacle avec eux à la seule condition que mes acteurs résidents en France puissent travailler sur un spectacle avec un texte congolais mis en scène par un metteur en scène congolais. Personne n’a rien appris à personne, on a juste échangé à égalité, il y a une influence mutuelle, qui les a fait avancer, vers quelque chose qui s’appelle une culture commune. Quand on est un metteur en scène français, ce n’est pas anodin de venir au Congo dans la position de diriger des artistes congolais. Ce n’est pas une chose facile, ou bien c’est trop facile et cela devient insupportable. Il faut travailler sur le poids de l’histoire, les relations ne sont pas neutres, on doit vraiment l’assumer et être responsable de cela si on veut un peu d’égalité. On a deux choix: ou bien on s’en fout et on est dans la culture de la domination ou alors de se préserver, de ne plus aller dans les anciennes colonies, car le poids de l’histoire est trop dur, ce qui est une connerie, car on passe à côté de très belles rencontres et de la possibilité de créer une rencontre plus égalitaire. Il y a une troisième solution, celle d’essayer de mettre en place tout un tas de dispositifs qui remettent un peu les échanges ailleurs, on se met au service d’énergie et d’initiatives congolaises. En me mettant en dehors de mes clous, hors de mes codes, et en travaillant avec la réalité de ce que je trouve ici, à l’espace Yaro, où on a travaillé à l’extérieur, au milieu des gens, avec les mamans du quartier. Ce déplacement mutuel permet de changer la relation verticale habituelle dans la relation nord-sud, pour remettre un peu d’horizontalité.

Les Bruits de Mantsina: Le théâtre est un moyen pour retrouver une égalité de rapport donc ?

David Bobée: Je pense qu’il y a des actes responsables qui doivent venir des politiques avant toute chose et assumer l’histoire. Les artistes, les spectateurs, le temps d’un spectacle, par le plaisir du théâtre, se mettent à travailler ensemble leur recul critique par rapport à ce qui est présenté. On partage des outils de compréhension du monde, pour agir. Il se joue quelque chose d’une création commune, du partage de la pensée qui sont des outils qui ont à voir avec la démocratie et permettent de prendre du recul sur la situation par le biais de la métaphore.

Les Bruits de Mantsina: L’humour du spectacle nous a beaucoup et agréablement surpris, en ce qui concerne une tragédie…

Pierre Claver Mabiala: On n’est pas là pour faire une leçon à des gens, je n’ai pas envie de le faire. Dans la vie, dans le quotidien des Congolais, un ami me faisait remarquer qu’il nous faut rire pour éviter de tomber malade, de notre colère. On a envie d’avoir l’esprit tranquille et une bonne santé. C’est aussi une façon de dire les choses, l’humour. Après, il y a des textes, comme Hamlet, qui abordent les choses comme cela aussi.

David Bobée: La fabrique du théâtre élisabéthain, c’est le mélange du tragique et du grotesque. Les traducteurs, avec leurs contextes, leurs époques, leurs canons esthétiques, ont gommé parfois ce qui est de l’ordre du grotesque, du vulgaire même. Ils ont ainsi enlevé l’étendue du langage de Shakespeare, et la profondeur de jeu incroyable qu’apporte ces différents niveaux de langue. Il y a plein de tragédies où des blagues très potaches peuvent arriver, cela nous fait un effet de recul par rapport à ce qu’on vit, c’est une manière de ne pas prendre les gens pour des cons. On n’est pas en train de vous faire croire à une histoire tragique, on la représente. Vous êtes spectateurs dans vos sièges, ne l’oubliez pas, on est au théâtre, réfléchissez le monde ! Le théâtre est un miroir du monde, vous n’avez pas besoin que l’on vous raconte des histoires, vous avez besoin que l’on vous représente votre propre monde. C’est cela Shakespeare.

Les Bruits de Mantsina: Pierre Claver Mabiala, vous pensez que cette pièce pourrait être un miroir de notre société ?

Pierre Claver Mabiala: Je vais vous parler d’une adaptation que j’avais faite de William Sassine, de son texte Saint Monsieur Baly, l’histoire d’un enseignant qui remet à l’école les rejetés de la société, il se bat, tout se casse. L’histoire est vraie, elle s’est passée au Niger. Dans le cadre d’une bourse visa sur la création, je suis allé faire des recherches sur Sassine en Guinée pour le savoir. Il a écrit cette pièce en 1973, elle est toujours aussi actuelle aujourd’hui, peut-être plus. On vient au théâtre pour réfléchir à ce qu’un spectacle nous apporte, pas pour des conclusions qu’auraient posé définitivement un texte et des comédiens. Avec Hamlet, on peut penser à nos rapports hommes-femmes par exemple, à certains mariages forcés qui entretiennent le contrôle des hommes sur des femmes.

David Bobée : C’est vrai pour Shakespeare et le théâtre en général. C’est un miroir. A un moment dans Hamlet, il est question d’un monde qui pourrit et de l’autre qui tarde à arriver. Le passage d’une génération à une autre par exemple, c’est une question qui se pose pour nous tous. Le miroir tendu n’exprime rien en lui-même, ce sont les gens qui viennent voir le miroir qui vont lire à l’intérieur du miroir. Toute la violence d’Hamlet, c’est de mettre un miroir devant chacun des personnages. Il met un miroir devant la reine et il lui dit «Regarde ce que tu as fait». Il fait la même chose avec Claudius, avec la pièce de théâtre qu’il lui montre. Idem pour Polonius qui se prend pour un sage et qui n’a aucune intelligence. Il met un miroir devant Ophélie en lui disant «Pourquoi tu te maquilles, je t’aime déjà, tu réponds à quelle injonction de la société pour accepter d’être instrumentalisée?». Et ainsi de suite. Ce procédé là, le situationnisme d’Hamlet, renvoie à la représentation elle-même. On crée une situation, dans la rue, qui n’est pas n’importe quelle rue, qui a une histoire, dans laquelle les spectateurs vont venir se regarder.

Les Bruits de Mantsina: Comment s’est fait la distribution des rôles dans la pièce ?

Ophélie (Mixiana Livty Laba) (c) Bobée

Pierre Claver Mabiala: J’ai envie de dire qu’il y a un travail qui s’est fait par Fabienne Bidou, ancienne Directrice déléguée de l’IFC de Pointe-Noire, qui est à la base de cela, qui a lancé le projet, qui a contacté David et qui m’a contacté. Pour les comédiennes, deux seulement se sont inscrites, cela tombait bien, il y avait deux rôles féminins! Il n’y a pas eu de discussion. Moi j’ai eu une discussion avec Nestor [Mabiala], avec qui je travaille souvent, avec qui on se fait confiance, il a choisi d’être le roi. On n’a pas fait d’auditions!

David Bobée: Je n’ai jamais fait d’auditions de ma vie entière. Je travaille avec les capacités des gens, je sais que je vais pouvoir mettre en scène les personnes pour que les spectateurs les regardent là où je les aime. Les personnages pour moi n’existent pas, c’est du papier, c’est ce que les gens qui les travaillent en font. Celui qui joue Hamlet [Mouz Ferregane], c’est son premier rôle de théâtre, il est rappeur lui. Il a un rapport à la langue. On a travaillé pour faire sortir des choses des personnes pour remplir le vide des personnages.

Les Bruits de Mantsina: Pierre Claver Mabiala, cela a été votre choix d’interpréter Polonius?

Pierre Claver Mabiala: Au début, comme vous l’a expliqué David, on nous avait donné l’information que c’était un atelier. Et après, on a appris que c’est un spectacle qu’on va faire en dix jours! On a appris le texte, on a travaillé. Donc moi je suis comédien, on me donne du boulot, je fais.

Hamlet dans la rue Hyppolite Memba, Matour Makélékélé (c) Bobée

Les Bruits de Mantsina: La mise en scène est extraordinaire! Comment est-elle née? Dans l’espace public, on casse beaucoup de règles. Est-ce que cela va dans votre perspective habituelle de travail?

Pierre Claver Mabiala: Pour mon combat à l’espace Yaro, ce qui m’a transformé, c’est de prendre mon courage de sortir de là où je suis. J’ai travaillé avec des collègues, des metteurs en scène qui ne sont pas congolais et j’ai toujours pris le soin d’aller voir là où ils sont. Et j’ai été façonné comme cela. Quand j’ai commencé à voyager, quand je voyais un spectacle venir au CCF, tout ce qui me paraissait grand, démesuré, m’a marqué. Ce qui m’a le plus formé, c’est le off d’Avignon en 2002, j’étais un jeune metteur en scène là-bas, la débrouille qui y règne m’a marqué, j’ai vu de grands spectacles en Avignon, comme le Platonov d’Eric Lacascade où David Bobée était assistant à la mise en scène, dans la cour d’honneur du Palais des papes. La folie pour moi parle de très loin, de ces grandes choses, mais je ne les fais pas car je n’en ai pas les moyens. Cela ne veut pas dire que je ne peux pas le faire. Là, nous avons saisi l’occasion avec la venue de David.

David Bobée : C’est le principe de mon métier, l’idée est de rencontrer les gens et de se faire déplacer par eux et d’espérer pouvoir être déplacé aussi, pour essayer de créer un territoire commun. Donc quand j’arrive ici, je me laisse déplacer par les êtres que je rencontre et je n’arrive pas avec une idée préconçue de la mise en scène. La mise en scène, ce n’est pas d’arriver avec des idées pour les appliquer, la mise en scène, ce sont les comédiens avec qui je vais travailler, tu inventes avec cela, c’est cela la créativité, ce n’est pas un art d’application mais un art vivant, créatif. Le spectacle Platonov du palais des Papes, c’est le genre de lieu extraordinaire où tu ne peux pas poser un décor. D’abord, tu dois travailler pour la scène, c’est par le lieu que tu vas trouver ta mise en scène. Quand tu arrives à l’espace Yaro ou dans la rue Mbemba Hyppolite [à Brazzaville, où s’est joué Hamlet pendant Mantsina], c’est la même logique, qu’est-ce qu’elle nous offre cette rue? Bien sûr, il y a de la contrainte, il n’y a pas toute la technique qui faut, on manque de certaines choses, mais il y a plein de possibles, la question, c’est comment tu fais pour transformer ces possibles là en signes, pour travailler à la construction du spectacle. Tu sais, je fais du théâtre contemporain, de répertoire, du cirque, de l’opéra, du cinéma, de la danse, je n’ai pas envie de m’arrêter aux disciplines, je suis un peu allergique aux assignations. Tu fais du théâtre, donc le théâtre, c’est comme cela, le texte doit être au centre, donc tu dois être dans un théâtre avec des murs, tu es français donc tu dois faire du théâtre que comme cela, non ! J’ai besoin d’être bouleversé et ce bouleversement là, je l’ai en travaillant ici, en travaillant en Russie, en travaillant en Colombie, en travaillant chez moi, en travaillant dans des écoles, mais aussi dans des opéras, j’essaie de trouver à chaque fois des continents symboliques, complètement nouveaux pour moi, qui vont me transformer.

Les Bruits de Mantsina: Qui a fait la chorégraphie d’Hamlet?

David Bobée: C’est nous tous. On ne naît pas en étant acteur ou danseur, les frontières ne m’intéressent pas, il faut les traverser, les faire exploser. Ce groupe là est extraordinaire car ce n’est pas le groupe de Claver, ce n’est pas Claver qui dirige un groupe d’acteurs et ce n’est pas moi qui ait fait des auditions pour choisir ou ce n’est pas moi qui pilote, il y a un engagement des uns et des autres qui existe uniquement par la volonté d’être ensemble. Chacun a une place différente et l’ensemble crée un collectif informel, lequel vient à Brazzaville uniquement pour faire partie de ce festival là, par militantisme, c’est ce qui est joli. Il n’y a pas de leader là-dedans, nous sommes tous au service de ce qu’on pourrait appeler un mouvement plutôt qu’une compagnie, le mouvement des comédiens de Pointe-Noire.

Les Bruits du Mantsina: Quelle est la situation du théâtre à Pointe-Noire, et que fait plus précisément l’espace Yaro?

Pierre Claver Mabiala: Le théâtre à Pointe-Noire est réel, il y a des comédiens, on est sur des questions d’accompagnement aussi, comme à Brazzaville ou Kinshasa. Il y a des lieux qui travaillent, qui sont nos outils de travail et sont aussi des lieux d’accueil des spectateurs et de création de communautés. Il y a un vrai travail qui se fait avec les populations partout, à l’espace Yaro, on fait des ateliers avec les enfants, on est en train de faire des spectacles avec une entreprise, il y a un festival de théâtre à Pointe-Noire. On ne sait pas demain comment cela va être, mais les initiatives sont là. Nous sommes nombreux à faire de la formation d’acteurs. Sur ce point de vue là, il y aura des comédiens, cela va se développer de plus en plus. Les connexions que l’on crée avec l’extérieur, le CDN de Rouen, Kinshasa, le Mali, nous aident beaucoup. L’un des éléments ralentisseurs, c’est que l’on ne sait pas où est-ce que l’on va jouer demain. Mais quand on le  sait, les choses sont beaucoup plus rapides à se mettre en place. Hamlet va circuler à Kinshasa, Libreville peut-être et puis on va voir. C’est un spectacle qui demande un gros budget, on est conscient de cela. Un moment personnellement, j’ai eu un sommeil sur certaines choses, mais là on se rend compte qu’il faut anticiper. On a envie de consolider cette démarche, car on a envie de sortir un travail, et par la suite, il faut se faire un peu plaisir. On se dit tout, on est un groupe, on cherche ce qui est bien pour nous et on y va. On est conscient que c’est une grande équipe, vingt personnes. La première fois qu’on l’a montré, c’est à l’IFC de Pointe-Noire, puis à l’espace Yaro, là Brazzaville, on aimerait aller à Dolisie, Delavallet Bidiefono nous disait que pour la prochaine édition de son festival BO YA KOBINA, il va le reprendre, on essaie de mobiliser les accueils possibles.

Claver Mabiala à l’espace Yaro, à Pointe Noire (c) Bobée

David Bobée: Sur la production, c’est effectivement un mélange de différents financements qui a permis de la faire, mon théâtre le CDN de Rouen s’est impliqué sur l’accompagnement, je n’aurais jamais les moyens de faire venir tout le monde chez moi, mais par contre, nous travaillons pour que le spectacle ait une existence sur sa zone géographique, le Congo bien sûr et autour. C’est un spectacle ambitieux dans la forme, il y a 400 sièges pour les spectateurs, c’est un grand spectacle, mais si tu regardes les accessoires, il y en a trois. La coupe empoisonnée, c’est une bière Primus, le crâne et les os, on les a commandés au sculpteur à côté de Yaro, la réalité est notre seule scénographie. Les financements qu’il faut arriver à trouver, c’est entre les forces invitantes, le festival et les futurs théâtres et les forces organisatrices, comme l’espace Yaro, l’IFC éventuellement qui est partenaire, le CDN de Rouen où j’ai envie que cela existe, les financement ne serviront qu’à payer les gens. C’est une histoire de la production qui raconte l’histoire du théâtre tel qu’on le défend idéologiquement. Ce sont les personnes qui portent le truc, bien plus que le désir du metteur en scène ou sa reconnaissance ou que sais-je ? L’enjeu est de trouver les financements pour les salaires des gens qui œuvrent. La production appartient à l’espace Yaro et c’est lui qui pilote.

Les Bruits de Mantsina: Votre rapport au Congo, c’est une longue histoire avec ce pays?

David Bobée: Elle date de 2006, un garçon qui s’appelle Philippe Chamaux, qui est aujourd’hui mon directeur adjoint au CDN, qui a l’époque était déjà un ami. Un jour, il me dit : «Il faut que tu ailles à Brazzaville. Quoi? Il faut que tu ailles à Brazzaville. Mais pourquoi? Tu verras.» Il me fait partir à Brazzaville, au moment d’un festival dirigé par Orchy Nzamba, j’arrive et je découvre des personnalités bouleversantes, un talent fou, une réalité différente de la mienne qui me déplace, qui me met du plomb dans la cervelle, qui me fait mieux réfléchir mon rapport au monde et je reviens bouleversé. Là, je rencontre Delavallet Bidiefono, je me dis j’ai en face de moi le plus beau danseur du monde, il faut absolument que je travaille avec ce mec. Je pense à le faire venir travailler avec moi sur un spectacle en France, puis je réfléchis. Je me rends compte qu’il démarre une compagnie, Baning’Art, c’était le tout début, et qu’il démarre la création de son espace artistique, je me dis que je serais vraiment un salaud de prendre la personne qui m’intéresse et de me moquer du contexte dans lequel il travaille. Donc j’ai décidé d’inviter toute sa compagnie à venir travailler en France avec moi. Et en l’inscrivant ainsi dans des lieux institutionnels, cela a contribué à ce qu’il soit connu, que son talent préexistant existe à cet endroit là. Puis il a commencé à faire des tournées dans ces réseaux là et à très vite vivre de ses propres ailes. Avec Delavallet Bidiefono, on a fait quatre spectacles ensemble, ou bien il était chorégraphe sur mes spectacles à moi, ou bien il était acteur, on a créé un spectacle ensemble en Russie, il y a une vraie histoire forte issue de cette rencontre. Et depuis je n’arrête pas de travailler avec des Congolais depuis la France. Je suis revenu plusieurs fois ici. Après, une petite histoire personnelle m’a mis un coup, j’accompagnais un jeune pour faire ses études, et puis il est venu en vacances en France et il a fui, cela m’a mis un coup car il était brillant et faisait des études exemplaires ici au Congo et il avait vraiment la volonté de faire de la politique dans son pays, j’ai pris du recul. C’est l’invitation de Fabienne Bidou de l’IFC à Pointe-Noire, ville que je connaissais peu, qui a ravivé cette envie de travailler ici, et de construire une culture commune entre les frères et sœurs de Pointe-Noire et les amis en France.

Entretien mené par Credo Eguenin, Dexter Milandou et Rodney Zabakani dans le cadre de l’atelier Les Bruits de Mantsina, le 22 décembre 2019 à Brazzaville.

Hamlet a été joué les 20 et 21 décembre 2019 rue Hyppolite Memba à Matour, Makélékélé, dans le cadre du festival Mantsina sur scène 16e édition.
Distribution:
Mouz Ferregane (Hamlet)
Alexandra Guenin (La Reine)
Nestor Mabiala (Le Roi)
Pierre Claver Mabiala (Polonius)
Harvin Isma Bihani Yengo (Laerte)
Mixiana Livty Laba (Ophélie)
Rockaël Mavounia (Horatio)
Orlande Zola et Steven Lohick Ngondo (Guildenstern & Rosenkrantz)
Hardy Moungondo (Osric)
Nicolas Mounbounou (Le Fossoyeur, la troupe)
Merveille Toutou (Le Spectre, la troupe)
Fred Obongo, Maël Ouemba, Jean Bonheur Makaya, Jules Mvouma-Lebanda (la troupe)