Newsletter des Ateliers SAHM. www.atelierssahm.org
«Merci aux artistes. Si Sony vous a vendu son destin, vous avez remboursé l’honneur.»
Nicolas Martin‐Granel
Ce thème a été choisi par Les Ateliers SAHM en hommage à Sony Labou Tansi (20 ans après sa disparition), comme pour ajouter du bois dans le feu allumé par cet auteur. Cette exposition donne matière aux artistes de marquer ou faire remarquer leurs empreintes à l’occasion des 12e rencontres internationales de théâtre intitulées festival Mantsina. Un projet initié par Dieudonné Niangouna, qui cette année a eu pour thème Sony sur scène. Ce festival culturel devenu culte qui se déroule en décembre de chaque année à Brazzaville ne pouvait laisser indifférent les plasticiens comme Van Andréa, Artmel Mouy, Jordy Kissy Moussa, Mantvany, Girel Nganga, Gad le beau, Monroyal, Paul Alden M’vout, Penath Kimbembé, Anne Garnier, Francis Kodia, Aimebéejer, Jules Roger Boumpoutou, etc.
Sony a vendu son destin aux artistes, il leur a appris à ne pas chercher mais à trouver comme le dirait un certain poète «je ne cherche pas, je trouve».
L’exposition Sony m’a vendu son destin met en exergue le travail des artistes qui, loin de s’arrêter uniquement à la peinture, se sont imprégnés des mots de Sony Labou Tansi. Ils ont acheté le destin de Sony en dévorant ses œuvres. Ces artistes se servent de leur talent en mettant ensemble les couleurs, les objets et les images pour se souvenir à jamais de cet illustre écrivain congolais, reconnu mondialement. Les différents travaux présentés par les artistes sont l’expression d’un ressenti Sonien:
Van Andréa
Artmel Mouy
Anne Garnier
Roger Boumpoutou
Jordy Kissu Moussa
Paul Alden M’vout
100 femmes est le poème dans lequel Van Andréa tire son inspiration en faisant des portraits de femmes. Loin d’apporter un jugement, il s’interroge sur ce que peut cacher la beauté lorsque chaque femme a son caractère et sa manière de séduire. Van Andréa s’inspire également de L’Acte de Respirer pour rendre hommage à Sony avec une installation qui est une continuité de ses portraits.
Artmel Mouy puise son inspiration dans 100 hommes pour dire les mots. On lirait dans son œuvre la volonté de dire sans aucun effort. L’artiste met à nu la société telle qu’elle se présente à nous avec tous ses miasmes. S’inspirant des phrases de Sony telles: «Les mots vont mourir si quelqu’un ne les remue à temps», Artmel domine le silence, car d’un côté il dit les choses sans les nommer et de l’autre il les dit de manière crue, tel est le mystère de Sony. D’ailleurs, il peint des hommes qui presque tous ont un œil plus grand que l’autre sur les formes extravagantes des femmes de tout âge.
L’Acte de Respirer est aussi une source d’inspiration de Jordy Kissy Moussa qui se sert de l’image des poumons passés aux rayons X et des papiers froissés pour marquer un terrorisme existentiel, il intitule d’ailleurs son installation Terrorisme d’exister. Ce Terrorisme trouve son sens dans l’étouffement constant et le besoin de respirer qu’éprouve l’Homme.
Mantvany utilise des papiers pour construire la ville de Yourma sur laquelle, elle s’approprie l’écriture de Sony en y écrivant à l’aide d’un stylo des bribes de textes du roman La Vie et Demie.
La Vie et Demie est également ce sans quoi Girel NGANGA ne saurait parler du pouvoir boulimique dans son œuvre. Partant des ustensiles de cuisine, il met l’homme face à ces objets afin de montrer l’égoïsme humain.
Gad le Beau quant à lui, s’est servi des phrases de Sony dont «je vais travailler dur pour que je puisse influencer par le verbe une, deux, trois, quatre, cinq générations». De cette phrase on lit une littérature prophétique qui aujourd’hui influence bien des générations. C’est pourquoi, Gad intitule son installation Continuation. Une installation éclairée avec des photos de Sony comme pour dire «Elle ne finit jamais», la vie ne finit jamais, Sony vit à jamais en nous.
Monroyal, membre du Club de Lecture s’essayant pour la première fois à l’art pictural, n’est pas resté en marge de cette phrase, il fait un portrait de Sony et se sert du stylo comme matériau de prédilection pour peindre la perspective d’éternité de cet auteur, le cerveau bleu. Le bleu reflète en fait le génie créateur et le caractère universel que l’artiste donne à l’écrivain.
Paul Alden M’vout, donne également le «la» à cette puissante phrase de Sony: «Je vais travailler dur… » Lui, arrivé aujourd’hui, fait un portrait de l’écrivain avec ses matériaux habituels de création: gélule, fumée polluante, ce qui nous plonge dans son regard en phase avec son époque habitée par les préoccupations climatiques, la destruction de la planète… Et, permet à chacun de se projeter dans un passé, un présent et un futur.
Penath Kimbembe tire son inspiration des Sept Solitudes de Lorsa Lopez: «Quand Lorsa Lopez tue sa femme, personne ne fait rien. A Valancia, la cité déchue, on se contente d’attendre la police… qui ne vient pas». Comme l’écrivain, l’artiste avec ses couleurs interrogent le silence des Hommes, de l’Histoire.
Anne Garnier, travaillant sur la personnalité de l’écrivain plonge la tête de ce dernier dans l’environnement qu’il connaissait le mieux: écriture, journaux, marque page… Elle part encore plus loin en créant des petits bonhommes sur la tête de l’écrivain symbolisant ainsi son humanisme, et la connaissance que toute les générations ont achetée auprès de celui qui était à la fois Romancier, Dramaturge, Poète…
Francis Kodia part d’une empreinte de plusieurs clichés de photos posées sur un seul et même visage portant une oreille pour montrer l’empreinte de Sony «face au silence, face à la nuit géante». La présence de l’encre indélébile et des photos colorées justifient ainsi la diversité de choix que l’on lit dans l’Homme.
Aimebéejair rassemble des phrases tirées des œuvres multiples de Sony, ajoutée à celles des artistes pour immortaliser l’homme qui a fait naître le demi dans son inconscient. Malgré le caractère élogieux de son œuvre, l’artiste refuse de tomber dans un fanatisme aveugle en montrant aussi le côté sombre qui fait de l’écrivain un être humain.
Roger Boumpoutou part de la liberté d’évasion pour pénétrer l’âme et l’œuvre de celui qu’il appelle grand frère. Habitant Makélékélé, le quartier de Sony, Roger accepte volontiers de faire de cet auteur un prophète chez soi. Son œuvre présente un S comme Sony, des seins renvoyant à l’attachement de l’écrivain à la femme et une bouche volumineuse qui traduit si bien la manière la plus loquace de l’expression sonienne.
Partant de ces œuvres, les artistes dégagent tous les 930 mots, mieux les mots de Sony par des présentations et des portraits expressifs. Ces travaux exposent pour la plupart une bouche, des dents, des yeux, un nez, une langue…; ce par quoi on dit les mots qui partent de nos poumons tragiques photographiés.
Enfin, les artistes ont découvert et assument à travers Sony, la beauté du langage; le rire de sauvetage; la dénonciation du silence; la réhabilitation de la parole; le refus de la mort; la construction de la vie…
Olmiche Bantsimba et Elwin Gomo, Membres du Club de Lecture des Ateliers Sahm, Olmiche et Elwin ont également remboursé l’honneur en accompagnant cette exposition de leurs mots.
“La place du public dans la vie du festival a témoigné de la pertinence du combat comme un processus du devenir. Le devenir art ici et maintenant. Nous avons initié cette passe à la vie dans les quartiers et la contagieuse ambiance s’est racontée avec. Le risque était beau à prendre et vous l’avez pris, tous.”
Dieudonné Niangouna
En, effet, la particularité de cette 12ème édition de Mantsina Sony-sur-scène a été de sortir des murs d’un théâtre, des salles classiques et des établissements publics pour occuper les cours de maisons, les rues et les lieux culturels privés de Brazzaville.
Ainsi, Les Ateliers Sahm ont accueilli le 24 décembre Cahier d’un retour au pays natal dans une représentation d’Etienne Minoungou. Etienne Minoungou a déployé magistralement son jeu d’acteur sur une estrade de fortune, circulaire façon grecque, formée de pierre. Les pieds dans le sable, il a libéré sur un ton juste, les mots d’Aimé Césaire face à la forêt de la Patte d’Oie qui abrite Les Ateliers Sahm. Etienne Minoungou, comédien majeur burkinabé a attiré un public nombreux dont les enfants du quartier aguerri aux couleurs des plasticiens.
Et le 27 décembre Les Ateliers Sahm ont accueilli Et si je vous disais la vérité de la congolaise Boréale Pongopo, sous la menace de la pluie. Une pluie qui, finalement, ne tombera pas une fois les mots de Boréale lâchés, comme impressionnée par sa colère à l’attention des dieux violeurs, imbéciles, fous…
Par ses mots sortis de ses entrailles déchirées,
des mots sortis de son vagin charcuté à jamais… Du climat tropical, le ciel a glissé peu à peu vers une aurore boréale : son Acte de Respirer. Son choix d’être artiste. Même si de l’écrit à la mise en scène le propos est resté littéral et le jeu d’acteur un peu trop théâtral, raisonne le culot d’exister d’une jeune artiste prometteuse, reste sa vérité triomphante sur son enfance brisée, une vérité qui fait écho à celle de Sony: Au fond, si vraiment vide il y a, pourquoi ne pas profiter pour y mettre quelque chose, Pourquoi ne pas l’utiliser à exister?
Nous avons vidé la vie à coup de questions: qui on est – où on est – où va t-on… A toutes ces questions je donne une réponse, mais pour l’accepter, il faut avoir le courage, je dirai même le culot d’exister. Au fond, si vraiment vide il y a, pourquoi ne pas en profiter pour y mettre quelque chose? Pourquoi ne pas l’utiliser à exister?
Sony Labou Tansi, L’Acte de Respirer.