Mantsina 2019 : Corto Vaclav, le coréalisateur de Kongo se confie

Les Bruits de Mantsina: Pouvez-vous nous parler de la genèse du film?

Corto Vaclav : C’est une longue histoire, si bien que je ne peux vous raconter qu’un dixième de l’histoire! Ca a commencé par une rencontre de mon coréalisateur qui s’appelle Hadrien La Vapeur avec le Congo et la deuxième rencontre de mon coréalisateur avec moi. Il m’a amené ici au Congo. Lui avait déjà rencontré les Ngundza ; il était venu filmer un Ngundza. Et deux ans plus tard, nous avons décidé de faire de l’anthropologie sur cette religion et c’est là qu’on a rencontré Médard, le personnage principal du Film Kongo.

Les Bruits de Mantsina: Les rites ne vous ont pas apeuré pendant le tournage ?

Corto Vaclav : Bien sûr! Nous sommes arrivés ici en 2013, Hadrien connaissait déjà le Congo. Et moi, pas du tout ; je sortais de mes études et j’avais 22 ans. Très jeune, je ne connaissais pas l’Afrique. Je suis arrivé ici et j’ai compris tout de suite que je ne comprenais rien. Parce que pour moi, c’était trop dur de comprendre. C’est trop large !

C’est vrai, je m’intéresse déjà à cette question du monde invisible, mais lorsque je suis arrivé, j’ai compris qu’ici il y a une culture entière depuis des millénaires. Je vivais sur cette vibration et j’ai su que ça allait prendre du temps pour comprendre tout ça.  Donc oui, il y a eu des moments où j’ai eu peur et au début je me disais c’est n’importe quoi, les Congolais croient à des trucs qui n’existent pas lorsque j’ai vu des choses, j’ai compris que c’était sérieux. C’est du réel et les Africains ont des secrets qui avaient été oubliés chez nous. Depuis longtemps, notre manière de vivre a vraiment changé.

Les bruits de Mantsina: Une culture  assez opposée à la culture française ?

Corto Vaclav : Très opposée, car dans la culture française, le monde invisible, la croyance, la spiritualité sont vus comme des choses du Moyen-âge, c’est contre l’évolution. Raison pour laquelle le monde occidental se demande : mais où est passé la spiritualité qui nous connectait avec le monde invisible, avec nos ancêtres ? Et donc ici au Congo et en Afrique il y a toujours un rapport avec les ancêtres, les racines. C’est important et donc on a fait ce film pour expliquer à ceux qui ne croient plus que la croyance est essentielle pour se souvenir de ce que nous sommes.

Les bruits de Mantsina: Nous pouvons aussi considérer cette religion au même titre que la religion chrétienne ?

Corto Vaclav : Je pense déjà que la religion chrétienne est un business. Je te parle franchement.

Crédo Eguenin, le 19 décembre 2019

Réalisé dans le cadre de l’atelier Les bruits de Mantsina

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Mantsina 2019: Projection du film Kongo de Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav

Le public de Matour (1er arrondissement de Brazzaville) a savouré ce jeudi 19 décembre 2019 vers 22 heures la projection en plein air à l’espace Mantsina du film documentaire Kongo, de Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav, film documentaire sur les croyances spirituelles et le monde invisible. Ce film, sélectionné au festival de Cannes en 2019, raconte l’histoire de l’apôtre Médard de l’église Ngunza qui se démène pour guérir les malades victimes de mauvais sort. Mais sa vie bascule lorsqu’on l’accuse publiquement de pratiquer la magie noire. Malgré quelques aléas techniques pendant la projection, le film a été apprécié par le public parce qu’il parle d’une histoire bien connue des Congolais sur les pratiques Ngunza qui sont très polémiques ici. Le fait que le film soit réalisé par deux Français a suscité l’étonnement. Nous avons interrogé Hadrien La Vapeur pour comprendre d’où venait son envie de faire ce film.

Le film est né d’une expérience vécue en personne. Hadrien La Vapeur s’est retrouvé en plein culte Ngunza à l’invitation d’un grand artiste musicien, feu Jacques Loubelo qu’il avait rencontré lors d’une édition du Fespam où Hadrien travaillait comme cameraman. Hadrien nous a confié avoir été ébloui par ce spectacle de transes et s’être même senti «appelé» par le Congo «qui a beaucoup de choses à raconter». Il dit avoir «découvert au Congo la puissance de la réalité» de la vie des gens, toujours dans le questionnement.

En rentrant en France, Hadrien rencontre Corto Vaclav et le ramène en 2013 au Congo pour réaliser ce film dont le tournage devait durer quelques mois et finalement leur a pris 6 ans. Il dit aujourd’hui qu’il se sent «obligé» de faire d’autres films sur le Congo, il est déjà en train de tourner un prochain documentaire. Au finale, Hadrien et Corto se sont convertis et sont désormais  Ngunza, l’un président, l’autre vice-président de l’église de l’apôtre Médard. Cela explique que ce film n’a pas vraiment de distance critique vis à vis de Médard qui en est le personnage principal.

Les spectateurs ont pu remarquer que le protagoniste, Médard, ne se dévoile pas trop dans le film. Il révèle quand même quelques rites Ngunza, par exemple:

  • la consultation des sirènes et des défunts pour résoudre certains problèmes
  • la transe, moyen utilisé pour entrer en contact avec les esprits
  • les pèlerinages à la montagne et dans les forêts ou les grottes que l’apôtre Médard fait toujours pieds nus

Mais les spectateurs qui connaissent la religion Ngunza ont pu voir que ce qui était montré dans le film restait superficiel. En vérité, la religion Ngunza est plus riche et ne traite pas que des problèmes de sorcellerie, contrairement à ce que laisse penser le film. Il y a eu des hésitations dans les discours Médard, ce qui est le propre de tout maître spirituel soucieux de ne pas tout révéler de ses mystères aux curieux, qui plus est étrangers, qui plus est muni d’une caméra. Les vrais Ngunza risquent de ne pas se retrouver dans le film, et le réalisateur nous a confié en entretien que certains pourraient même se demander si les protagonistes du film étaient de vrais Ngunza.

Une critique qui a pu être adressée au film est qu’il véhicule une mauvaise image du Congo et de la religion Ngunza. Le fait que le film s’appelle Kongo (et pas Ngunza, par exemple) réduit la culture kongo à ce sujet polémique. Certains regrettent que ce soit ce type de sujets sur le Congo qui voyagent le plus à l’étranger et risquent de conforter des préjugés sur notre culture.

Prince BAMAN MOORE
L’entretien avec Hadrien LA VAPEUR a été mené par Credo EGUENIN le 19 décembre 2019 en sortant de la projection
Article réalisé dans le cadre de l’atelier Les Bruits de Mantsina 2019