Harvey Massamba
Je ne saurais vraiment le dessiner à moins que je ne remplisse la terre entière d’une tête dont les cheveux serviraient de paratonnerre aux habitants.
Abdon Fortuné Koumbha
Sony pour moi était un passeur. Sony est celui qui nous a «autorisé» à croire que l’Art pouvait nous permettre d’exister.
Jean-Paul Delore
Je sais pas quel Sony, mais je veux bien boire un verre dans le bar qu’il tiendra à Brazzaville!
Étienne Minoungou
Une fulgurance, comme Thomas Sankara, un géant lumineux avec la bouche grande ouverte, debout, entre la déflagration du Big-Bang et le ciel à l’horizon sombre du prochain Apocalypse. On ne peut pas dessiner Sony, on le peint ou on le sculpte mais alors il faudrait avoir pour tableau ou matière, le cosmos ou la joue d’un enfant ou encore un bout du lit du fleuve Congo…
Rufin Mbou Mikima
Mon Sony a 20 ans. Il a un porte-voix aux couleurs du Congo, le drapeau du Burkina Faso sur la tête et un t-shirt sur lequel il est écrit: « Les voix du peuple » disent leur « Ras-le-bol »…
Kouam Tawa
Je dessinerai un homme frêle qui écrit debout. Je pense à ces mots de Jacques Chevrier sur la 4e de couverture de La Parenthèse de sang publiée en 1981: « Depuis qu’on a donné à Sony Lab’ou Tansi un crayon et une feuille de papier, il ne les a plus lâchés. Il écrivait sur ses genoux au lycée; aujourd’hui il écrit debout ou sur les coins de table; il écrit la nuit, il écrit le jour… et quand il n’écrit pas, il pense à ce qu’il va écrire. »

Papythio Matoudidi
YAAAAAHHH quelle question ! On ne peut pas dessiner Sony, Sony c’est le monde, c’est l’univers ! C’est beaucoup de choses… c’est des milliards de mots Sony. C’est: force, parole, sagesse, prophétiser, appartenir, donner, jouir, pouvoir, révolution, militantisme, armée des mots, volonté, espoir, prière, vie, créature, connaître, paraître, devenir, résurrection, jouissance, être grand, être petit, peuple, main levée, couloir, porte, trou, plaisir, baise, croire… Sony pour moi c’est fleurir, couler, fleuve Congo, fleuve, eau, verseau, année, millénaire, éternel, semer, exister, humain, homme, terre, monde, Mouamongouba. Sony c’est aussi La Main bleue, l’aéroport Maya Maya, c’est aussi la grande avenue Mbemba-Hyppolite, c’est aussi Brazzaville avec ses moments de jouissance, ses moments au cercle Sony, c’est Mantsina, c’est le Socle des Vertiges, c’est Sheda, c’est l’Antépeuple, ce que je vais dire simplement : c’est tous les mots qui existent sur la terre, tous les mots qui donnent la vie, l’espoir. Tous les mots qui sont une prière, parce que ce que Sony écrit c’est une prière, pour moi d’où je viens, du Congo, c’est une prière, ça me donne de l’espoir, ça me guide, ça me donne beaucoup de choses… Voilà. «que le fleuve KONGO soit en nous pour toujours…»
Marcel Mankita
Grand, mince et frêle. Genre 1m90 mais ne pesant que… 50 kilos. Une énorme tête (pesant le tiers de son poids total) dont le visage –en sueur– respire en même temps la timidité, la préoccupation et la détermination. Léger sourire aux lèvres. Pieds nus, il est vêtu d’un pantacourt gribouillé et d’un tee-shirt arborant –côté poitrine– un gars au bord d’un lac en train de pêcher et –côté dos– une statuette vaudou. Tee-shirt trempé par la sueur.
Dieudonné Niangouna
Je crois qu’il ne fallait pas qu’il soit dessinateur. Parce qu’il y a un dessin de Sony que j’adore qui est au début je crois dans le bouquin L’Acte de respirer, ou il dessine une espèce de tête comme ça, avec un bec là tout le blablabla. Le défaut c’est qu’il était dessinateur et pour moi c’est une espèce de Picasso, parce qu’il regrettait il disait même «Ah si j’étais Picasso…». Je crois qu’il était un vrai vrai dessinateur, c’est à dire il ne pouvait que dessiner que, quand je dis comme Picasso c’est à dire je peux aussi dessiner comme un autre, mais c’est à dire par cette lecture réelle, il dessine l’âme de la chose, mais pas l’âme dans sa pureté et pas non plus l’âme dans son côté salasse ou vilain mais c’est à dire l’âme, la chose qu’on ne peut pas dessiner. Donc du coup, on ne lui prête que des formes. Mais ces formes là ne sont pas des formes dessinables, ni des formes écrites, ce sont des formes de sensations, de ressentis. C’est à dire, je vais dessiner la haine, la haine n’a pas un dessin genre carré, rond ou triangle, quand tu fais ce dessin là c’est la haine, non. La haine n’a pas de dessin. Parce que c’est un sentiment, c’est une sensation, c’est un truc qui n’a pas de forme. Donc dessiner complètement comme ça comme il le faisait, c’est évidemment la littérature de l’âme. C’est le dessin de l’enfant où il ne dessine pas la forme; il croit qu’il dessine la forme, mais l’enfant veut absolument dessiner les sentiments. Il veut dessiner comment il aime ce bonhomme-là. Et du coup ça ne marche pas proportionnellement parce que la forme ne veut pas des proportions. L’enfant il veut qu’on sache qu’il aime le petit bonhomme de neige. Donc il veut que dans son dessin on sache qu’il aime le petit bonhomme de neige. C’est ça qu’il veut dessiner. Il ne veut pas dessiner comment le petit bonhomme de neige est, il veut dessiner comment lui, il aime le petit bonhomme de neige; ou ce qu’il déteste chez Diabolo et Pénélope…

Le défaut c’est que lui-même il a dessiné, et quand j’ai vu ce dessin je me suis dit «Ah merde, il m’a piqué comment moi j’allais le dessiner». Parce que j’allais le dessiner comme ça, cette tête là, avec des piques sur la tête, et un bec comme ça, et un œil là et puis l’autre, il n’y a pas d’œil… Oui parce que c’est la beauté du monstre, Sony c’est la beauté du monstre. Ce n’est pas le monstre beau, c’est pas le monstre joli, c’est la beauté du monstre. Et là beauté du monstre évidemment n’est pas que le monstre soit dégueulasse, n’est pas que le monstre évidemment soit gentil, la beauté du monstre c’est une chose qui est apparemment dépouillée d’un certain nombre de sentiments collés ou figés. Il n’est qu’une forme d’existence réelle. Comme quelque chose d’entier et qui ne peut pas se négocier et qui ne peut pas négocier, qui ne peut pas troquer, tu ne peux pas identifier à un autre, c’est pour ça que c’est un monstre. Nous, on est des êtres humains on se ressemble, mais un monstre est toujours spécial. Tu as un monstre et puis un autre monstre et ils n’ont pas de famille. Un monstre c’est un monstre. Sony c’est une espèce de chose toute seule comme ça, entière. C’est là où il est un monstre. Parce que c’est un monstre. Donc c’est pas beau, c’est pas laid, ça ne fait pas partie de nos vocabulaires, ça ne fait pas partie de nos trucs à nous, de juger, de regarder, d’équilibrer, tout le blabla. Mais il est, par une opération que lui même avait fait intrinsèquement, qui est une opération de devenir. C’est à dire de s’arroger une place. Il s’arroge une place pour refuser l’assignation. Il ne veut pas être assigné. Il ne veut pas qu’on l’appelle «poète engagé», il ne veut pas qu’on l’appelle «poète». Il ne veut pas qu’on l’appelle «écrivain», il ne veut pas qu’on l’appelle «metteur en scène». Il ne veut pas qu’on l’appelle, il veut que lui s’appelle. C’est en ça déjà qu’il crée le monstre en lui. Et c’est une technique de dissuasion assez importante. Pourquoi? Parce qu’à ce moment là, il crée une place. Il crée une place et il est vu. C’est à dire, il est entendu. Quand je dis qu’«il est vu il est entendu» c’est pas que sa question c’est pour qu’il soit vu, la question c’est pour que ce qu’il dit soit entendu. Or ce qu’il dit pour que ce soit entendu, il faut que ce soit lui qui le dise. Donc ça veut dire quoi? Il faut qu’on l’entende lui pour qu’on entende ce qu’il dit. Et du coup, par là il crée une mise en scène. Et la mise en scène il la fait où? À l’intérieur de son propre corps.
Il crée une mise en scène, c’est à dire il s’arroge une place. En commençant par refuser l’assignation.
Et en refusant de dire «on m’appelle». Il dit «je m’appelle» . Et il le fait il dit: «je m’appelle Sony Labou Tansi». Sur le papier c’est écrit Ntsony Marcel, mais il dit: «je m’appelle Sony Labou Tansi». Et tout le monde sait par quelle étape il est arrivé pour arriver à Sony Labou Tansi, c’est même ce qui prouve qu’il s’est fabriqué. Il a étudié beaucoup de pseudonymes avant Marcel Malinda, Soyi Soyinka… Il a eu beaucoup de pseudonymes comme ça, même les premiers textes il les a publiés avec d’autres pseudonymes. Mais c’est pas qu’il se cachait derrière ces pseudonymes là, il était en train de se chercher. Et un jour quand il a trouvé Sony Labou Tansi, là c’était le monstre: le monstre, le bec était là, l’oreille était là et au-dessus de la tête il y avait des ailes de dragon et au niveau des pieds qui étaient chétifs comme ça il y a avait des crocs, le monstre était complet. Et le monstre était complet comme quand il a trouvé le nom Sony Labou Tansi. Et du coup, rien que par cette recherche de nom, et c’était pas un nom qu’il cherchait c’était une forme d’identité réelle. Et cette identité réelle il ne peut pas l’emprunter. Il ne peut la trouver qu’à l’intérieur de lui. Donc il faut qu’il rentre, et dans ses goûts, et dans ses cauchemars, et dans ses fantasmes, et dans ses colères, mais du soi, c’est à l’intérieur de lui qu’il va réveiller tout ça. C’est à dire il n’a pas peur de regarder la vérité en face. «Regarder la vérité en face» veut dire quoi? Regarder l’horrible aussi. Veut dire quoi? Regarder la beauté aussi. Il va tout te regarder. Tu vas chier il va regarder ton caca pour savoir dans quoi on est. Quelqu’un va être content il va regarder son sourire, il est content. Quelqu’un va tirer sur quelqu’un la tête explose, le cerveau gicle il va pas faire «Oh je vais pas regarder». Il va regarder, réellement, pour dire «voilà la merde que nous sommes, voilà les conneries que nous faisons», il va regarder. Donc il n’y aura aucun endroit où il va chercher à jouer d’une complaisance donnée parce que sinon il va corrompre la pensée, et donc du coup, l’acte de témoigner du monde par l’homme.
C’est ça évidemment le monstre. C’est ça la beauté du monstre.
C’est qu’il va regarder ça. Il va complètement regarder ça. Il va dire «c’est moi qui regarde». Il y a tout un travail réellement en acceptant l’homme, c’est pour ça qu’il dit que «l’être humain est trop beau pour qu’on le néglige». En acceptant l’homme avec ses qualités et ses défauts, il faut d’abord qu’il l’accepte pour qu’il se batte à le ré-équilibrer. Pour qu’il se batte à le ré-équilibrer. Donc voilà, Sony c’est un processus de devenir. C’est juste un processus de devenir. C’est pas un excellent auteur, c’est pas un excellent poète, c’est pas un excellent dramaturge, c’est pas un excellent metteur en scène, c’est pas un excellent professeur, c’est pas un excellent maître conférencier, c’est un excellent sorcier. C’est à dire, comme les vieilles matrones, c’est comme le gars dans Astérix et Obélix qui fabrique la potion magique, c’est un vieux sorcier qui fabrique un filtre qui s’appelle «le processus de devenir». Le reste, il nous embrouille en écrivant une pièce de théâtre, en écrivant un roman, en écrivant un poème, ce sont des petits montreurs qu’il utilise, qui font partie de son procédé pour que les gens deviennent. Pour raconter son évangile à lui du processus de devenir. Il n’est pas metteur en scène, il n’est pas auteur, tout ça il s’en fout éperdument. C’est pour ça qu’il ne peut pas faire une conférence sur la littérature. C’est pour ça que la littérature ne l’intéressait pas. Il n’a jamais fait de conférence sur la littérature ça ne l’intéressait pas. Quand on lui proposait ça il dit: «on ne peut pas parler littérature ça n’a aucun sens», parler de la culture ça n’a aucun sens. C’est à l’être d’avoir la culture, on doit enseigner à la personne d’avoir la culture, mais on ne peut pas enseigner la culture, la culture c’est complètement se caresser les roubignoles sous le soleil. Ça n’a aucun sens. Sony c’est juste un sorcier. C’est une grand-mère qui fabrique des filtres, qui va te les donner comme ça quand tu vas les boire, tu n’auras pas froid pendant la saison, que le serpent ne va pas te mordre quand tu rentreras dans la brousse, c’est tout. C’est tout. C’est tout. C’est un petit sorcier. C’est un sorcier. C’est un sorcier. C’est l’art du sorcier. Il va passer par la transe pour vous déloger de chez vous. Comme ça tu vas te déloger de ton toi, tu vas te déloger de toi, pour évidemment être à même de regarder l’horrible en face et de regarder la beauté en face. Tu ne peux pas l’être si tu ne rentres pas en état de transe, donc il va provoquer la transe aussi, il va fabriquer un filtre qui va te faire boire. Ben oui! Tout ça là, c’est juste un sorcier.

Et moi je crois que si Sony n’était pas parti à l’école, il sera toujours Sony. Contrairement à ce que beaucoup de critiques littéraires ont dit en disant «oui c’est quand même la langue française qui l’a sauvé, parce que tu vois, en étant parti à l’école…» tout le blabla « …ça l’a amené à écrire. Si Sony n’était pas parti à l’école, on n’aurai pas eu Sony». Moi je dis je crois pas. Je crois que si Sony n’était pas parti à l’école, il sera toujours Sony. Il sera Sony. C’est à dire il serait pas le mec qui écrit bien sûr mais ce sera toujours le même Sony. Ça veut dire quoi? Il sera un putain de sorcier dans son village. Il allait être un sorcier. Je ne dis pas forcément un gourou qui crée une secte, pas à cet endroit là. Mais il sera un sorcier et qui sera aussi connu tel qu’il est connu en tant qu’auteur. Il n’est pas mondialement connu, il n’est pas africainement connu. C’est à dire dans le petit espace, je dirai même pas célébrité, de l’endroit où il est connu, quand je dis connu, je parle du verbe connaître, c’est à dire où l’on s’est approché de sa littérature, où on a fait l’amour avec sa littérature. Donc on le connaît comme on connaît une femme, comme un homme une femme, ils ont fait l’acte de connaissance, tu vois? Voilà. Donc tu coup s’il n’était pas auteur, on aurait connu ce qu’il allait faire là, on l’aurait connu parce que c’est un sorcier, il est sorcier. Et sa manière de penser ne vient pas de l’école, ne vient pas parce qu’il a lu un bouquin. Ils étaient nombreux à lire ces bouquins là. Parce que intrinsèquement il y a quelque chose qui est née révoltant. Qui est née révolté. Quelque chose qui a été baigné dans la honte depuis sa naissance. Il est sorti dans cette cosmogonie où il vécu, avec ses histoires familiales, ses histoires de pouvoir. Quand il vient au monde, il arrive dans un pays où il y a un pouvoir comme ça, il est gamin, on mange dans la poubelle, il y a le oui et le non c’est la même chose, il y a la honte de la famille, il y a tout ça donc bébé, il naît et il se tape tout ça dans la gueule. Ok? Mais beaucoup de gens ont eu ces mêmes trucs là. Il n’était pas le seul qui est née pendant cette période là, ou qui est né dans ce village là, ou qu’on a aussi envoyé à l’école. Beaucoup de gens se sont tapé ces problèmes là. Mais pourquoi lui ça lui a fait ça? Ah ben parce que ces mêmes réactions, quand c’est tombé chez lui, ça a provoqué ceci pourquoi? Parce que évidemment il a un cœur de beurre. Ça fond. Et donc du coup, il est complètement transparent, il est complètement transperçable. Il est complètement transperçable, il est complètement mortel. Il est complètement la peur. Le mot qu’il dit la peur et la honte. Donc tout le monde le traverse comme ça, depuis petit. Le traverse comme ça. Donc il s’en rend compte, très bien compte, qu’on lui donne un sursis de 5 ans à vivre. Il a 5 ans pour vivre à après il crève. C’est comme un prématuré mais pas dans de le sens d’être né avant, il a des insuffisances comme quelqu’un qui a des insuffisances de cœur. Le docteur a dit «toi tu as 10 ans (à vivre)», il sait qu’il a 5 ans à vivre. Alors ce qu’il va chercher c’est quoi? C’est pas de vivre longtemps. Ce qu’il va chercher évidemment, c’est ça qui est beau, c’est que par sa maladie, il va chercher à reformer le monde. Pour dire que: «il y en a beaucoup qui ont vécu la même maladie comme moi, il y en a beaucoup qui pourront encore vivre cette maladie-là, il y en a beaucoup qui pourront vivre ces carences là. Donc il faut que je me batte pour que les enfants de demain ne souffrent pas de cette carence là.» Mais il n’a pas le médicament, alors qu’est-ce qu’il fait? Il s’invente docteur.
Dans le film documentaire Diogène à Brazzaville ça s’explique, quand il arrive à l’école à Brazzaville, il quitte la RDC, donc l’ex-Congo Belge à l’époque. Quand il arrive au Congo, dans la salle de classe, il se mettait à prendre des récréations, il se mettait toujours au coin de la classe, en train de créer des pénicillines. Lui même il le raconte dans le film Diogène à Brazzaville, en train de créer des pénicillines il attrape les insectes, il prend des bouts de bois, il crée des trucs comme ça et chaque fois l’instituteur le punissait pour dire «Ah ça c’est Sony qui est train de faire des fétiches pour que les autres élèves ne soient pas admis et que lui passe. Non, non, non. Il était déjà dans son laboratoire, dans son atelier. Mais pourquoi il voulait faire un atelier? Gamin à l’école primaire, pourquoi il avait besoin de faire un atelier? C’est que c’est d’abord un sorcier, c’est un être dans un laboratoire, c’est un savant. Il croit qu’il va fabriquer une espèce de Nivaquine, qu’on doit la prendre et fini le paludisme. Mais bien sûr! Donc il a ça depuis gamin et cette pénicilline qu’il invente comme ça avec ses bouts de bois, avec je sais pas moi… du sperme de lilliputien, avec la sève de tel écorce d’arbre, ou la morve de je ne sais pas quel animal, de quelle chèvre dans le quartier qu’il a ramassée, lui il croit qu’en mélangeant ça, on inventera un truc qui arrêtera le sous-développement. Donc il est comme ça avec toute l’innocence du gamin. Et quand on lui confisque son laboratoire dans la classe, il s’énerve, il a pris une feuille et il a rempli la feuille d’encre. C’est à dire, il a écrit. Ça veut dire quoi? Il continue à faire le laboratoire maintenant avec le stylo. Donc c’est pas l’écriture qui l’a sauvé, c’est pas l’écriture qui créé Sony, c’est quand on a confisqué son laboratoire. Qu’est-ce qu’il fait? Il continue le même laboratoire par un autre outil, par un autre outil c’est tout. Il continue son laboratoire avec le stylo. Et voilà pourquoi il est réellement poète à cet endroit d’être poète parce qu’il n’est pas poète par le papier ni par le stylo ni par la machine à taper. Il est poète parce qu’il veut inventé un médicament. Donc si c’est pas avec le stylo il fera avec le pinceau, s’il n’a pas le pinceau il le fera avec du pain, c’est pour ça que je ne crois pas quand les gens disent «si Sony n’était pas parti à l’école il serait perdu…» Non il serait toujours Sony. Il serait un sorcier, un magicien, un machin… Il sait très bien qu’on ne l’a pas inventé. Et c’est pas par orgueil tapageur qu’il le dit, il le dit dans une position très très consciente d’un mec dans son laboratoire avec ses pénicillines au fond de la classe. Il n’a pas demandé «est-ce que c’est juste?» Il n’a pas d’abord chercher la vraie Nivaquine le vrai machin et connaître le Ph non, c’est dans l’innocence complètement du fou, qu’il ne sait même pas si scientifiquement cet acide là marche avec ça non, non, c’est le courage de se dire que «je vais inventer ma science». Donc il croit comme un gamin qui joue, comme les filles jouent avec leur poupée, les gamins qui jouent avec les petites voitures, et ces machines qui rentrent là et lui il devient le héros. Il croit à ça dans cette réelle innocence. Et c’est là que le monstre se crée. C’est là qu’on rentre déjà dans la fabrication du monstre. C’est qu’il commence à s’auto-fabriquer monstre. Monstre pourquoi? Parce qu’à ce moment là il fait du Nietzsche «Ni Dieu ni Maître». «Je ne vais pas dire qu’est-ce qui est vrai qu’est-ce qui est faux des autres trucs qu’ils utilisent, la vérité c’est ce que moi je vais dire». Et c’est pour ça qu’il met encore cette phrase là dans L’Acte de respirer, quand il dit «le mal est mort le mal est mort le mal est mort, et le bien, le seul bien qui existe c’est moi. Il vente en moi, il bouge en moi, il fait lune en moi.» Mais quand il dit «le bien qui existe c’est moi» c’est pas qu’il est en tain de dire «c’est moi l’homme le plus beau, l’homme le plus gentil ou des leçons de morale» non, non. J’invente mon bien. J’invente le bien. J’invente. C’est j’invente, ça ne se vérifie pas. Ce que j’invente tu ne peux pas le vérifier avec autre chose. Ça ne se vérifie pas. C’est dans ma cosmogonie. Et c’est là évidemment l’écriture du monstre. C’est là évidemment la statue du monstre. C’est là où le monstre est différent de nous, parce qu’il n’y a qu’un seul monstre. Après tu as un autre monstre, ils ne se ressemblent pas, les humains se ressemblent, c’est là le monstre justement. «Un jour, il y en aura qui diront »je l’ai influencé », ils seront nombreux et voici ma réponse à tous ceux-là qui croient qu’ils m’ont influencé. Je dirai: »d’accord, vous m’avez influencé, mais je suis allé plus loin que vous, j’ai sauté plus haut que vous, accusez moi de cela, pas d‘autre chose, autrement soyez fiers de m’avoir engendré. C’est votre droit après tout. »» SLT. Tu ne peux pas influencer Sony c’est impossible (référence à la citation donnée), c’est impossible.
Tu peux être meilleur auteur que lui ça c’est très clair, tu peux être meilleur dramaturge que lui, tu peux être meilleur metteur en scène que lui ça c’est très clair, tu peux être meilleur enseignant que lui ça c’est très clair, tu peux être meilleur tout ce que tu veux, tu peux être meilleur formateur que lui ça c’est très clair, mais tu peux pas être meilleur que Sony ça c’est impossible.
Et ça, ça n’a rien à voir avec le fait qu’il écrive. Ça n’a qu’à voir avec l’organe pensant qu’il est. Cet espèce de macro-tracteur. Avec des doigts de chair quand on dormait là le lendemain il a fait des tentacules, cet espèce de macro-tracteur sorti de la terre. Voilà. Et c’est pour ça que sa première pièce s’intitule Conscience de tracteur. C’est la première pièce de théâtre qu’il écrit, il publie en 1976. Et le début de cette pièce dit ceci, c’est aussi avec ça que Ferdinand avec Léandre-Alain Baker quand il fait le film à Brazzaville, c’est le premier texte que tu entends dans le film, voix off tu entends cette phrase là, après on montre le fleuve Congo, une pirogue qui passe, et surtout cette voix, cet extrait là dit comme ça en voix off par Pascal Nzonzi avec une meilleure voix où il dit dans le prologue de Conscience de tracteur où il dit: «la première terre est passée, la deuxième terre est passée, la troisième terre est passée, la quatrième terre est passée, la cinquième terre est passée, il y eu 550 millions de terres passées, 550 millions de terres passées emportées à la dérive par l’espace et le temps. Puis le hasard en se mouchant fit l’homme. Et donc, si le hasard ne s’était pas mouché… Il lui donna deux bras et deux mains pour manœuvrer des mondes, de telle sorte que toute la création ne soit qu’une éternelle ébauche. Ébauche ou débauche? C’est à voir.»
C’est comme ça qu’il commence «c’est à voir». Mais le gars, c’est pas de la littérature. C’est de la philosophie pure. Mais laquelle? Mais pas la philosophie de la philosophie. C’est le monstre qui est train de créer son laboratoire. Le monde est inachevé et je crée le mien à l’intérieur. Et ça c’est ce qu’il a fait dans toutes ses œuvres, romans, poèmes, nouvelles, pièces de théâtre, par les premières phrases. Les premières phrases il te dit «c’est foutu», il dit «la première terre est passée». Dans Antoine m’a vendu son destin il commence comment? «Sommes-nous sortis du monde, Riforoni?», dans La Parenthèse de sang, il commence comment? Il dit «Ça commence». Lui il prend le stylo, il le pose sur la feuille, il dit «ça commence» mais c’est pas moi qui commence à écrire, le monde commence, à partir de maintenant. Comme dit Shakespeare au début de Richard III «Et voici l’hiver de notre déplaisir», «et maintenant», ça commence par moi, par l’acte de nommer et que moi je crains. Il dit ça commence, ça commence comme un match de football mais ça ne termine pas. «Les onze du sang contre les onze des entrailles. Et pas d’Afrique dans ce match s’il vous plait, car la situation de l’Afrique est à la limite distrayante. Attention l’arbitre est un ancien fou, il siffle à l’envers.» L’arbitre tu sais c’est qui? C’est lui. «Attention l’arbitre est un ancien fou, il siffle à l’envers.» Donc cette littérature là, c’est à l’envers. Ne la jugez pas par rapport à comment vous lisez le monde, vous allez vous tromper. Retournez là. Retournez là complètement. «L’arbitre est un ancien fou, il siffle à l’envers.» Comment il commence La Vie et demie? «Tout avait commencé quand Chaïdana avait eu 15 ans.» TOUT. Il dit TOUT. Pas cette histoire que je vous raconte. Le monde. Avec les Abraham qui avaient existé avant les Bonguiz, les Mama Ngounga, les Soundiata Keita, les Napoléon, tout ça avait commencé quand Chaïdana avait eu 15 ans. Pour le comprendre tu peux dire «non c’est peut-être moi qui exagère, c’est peut-être pas ça, mais lis la deuxième fois tu vas comprendre.» Il dit «Tout avait commencé quand Chaïdana avait eu 15 ans.» Deuxième phrase: «Mais le temps est par terre». Par terre, par terre. L’air par terre. Il cite tout, par terre. Il dit «même la terre aussi était par terre». Quand Chaïdana avait eu 15 ans, tout est par terre. C’est à dire, c’est le Big Bang. Sony nous parle du phénomène du Bing Bang. Dans toutes ses œuvres. Dont son dernier roman Le Commencement des douleurs, publié de son vivant je veux dire. Ça commence comment? Il dit «tout avait commencé par un baiser puant. Baiser de malheur. Nous avons eu tort, nous à qui l’histoire a piqué 5 siècles.» Il commence comme ça. Dans Les Yeux du volcan, comment il commence? Il dit «C’était le vendredi de machin, quand le colosse arriva sur son cheval dans la ville des crânes…» ben oui, c’est là que c’est parti «quand le colosse a débarqué sur son cheval dans la ville des crânes tout était foutu», comme quand je dis dans Le Socle des vertiges en disant «tout avait mal commencé quand Diego a débarqué de son bateau c’était foutu». Ne cherche pas d’explication c’est foutu. Fallait pas qu’il débarque du haut de son bateau. Dès qu’il a débarqué du haut de son bateau c’était foutu. A partir de là on ne peut plus rien comprendre. Les choses sont devenues sens dessus dessous. Il n’y a plus à expliquer mais c’est mal parti comment est-ce qu’il y a un endroit qu’on a pas bien compris… Non! C’est quand le bateau de Diego Kawa a fait POUM, il n’y a aura plus d’explication, il n’y aura plus rien. Toutes les œuvres de Sony, tu l’as depuis le début. Tu comprends très bien que le gars il est dans son laboratoire, il recrée le monde. À partir de son laboratoire. Et sur l’histoire de l’envers, de l’arbitre qui siffle à l’envers, il le dit dans la préface de La Vie et demie, ça s’appelle écrire par étourderie. Moi qui vous parle de l’absurdité de l’absurde, d’où voulez-vous que je vous parle sinon du dedans de moi-même?». Du dedans. Il crée son laboratoire à l’intérieur de ses couilles, de ses tripes, il se crée sa petite maison à l’intérieur, il invente ses pénicillines. Et donc c’est par étourderie qu’on doit le comprendre. Parce que c’est un ancien fou. Il siffle à l’envers. Là où il ne faut pas siffler pénalty, il siffle pénalty. Quand vous dites que le match est fini, il dit «Non! Le match commence maintenant». Quand vous jouez il dit «Ah non! Vous êtes sérieux». Quand vous êtes sérieux, il dit «Ah ben non, là vous jouez!».
Criss Niangouna
Je ne suis pas un bon dessinateur. Mais s’il faut représenter SLT par un dessin, je dirai que: Sony est une forme géométrique, avec des angles droits. Je dis des angles droits pour montrer la justesse, l’exigence mais aussi l’humilité qui a caractérisé sa courte vie. J’ai aussi envie d’ajouter, que c’est la clairière de notre forêt encore vierge qui apporte la lumière qui nous est nécessaire. Tout son travail a consisté, non pas à nous raconter des histoires à dormir debout, mais bien au contraire à nous tirer vers le haut. Nous sortir de la bêtise humaine.
Maintenant que j’en ai fait la description, je vous laisse dessiner.
Témoignages recueillis par l’équipe des Bruits de Mantsina.