Mantsina 2019 : Au cœur des hommes, un spectacle qui crée la controverse

Spectacle écrit et mis en scène par John Ottavi, Compagnie Les Masquards.

Avec : Céline Diathoud, Florence Vernejoul, Corine Greco, Olmiche Batsimba, Claude-Aline Antoine Edouard, John Ottavi, Jean-Clauvice Ngoubili, Boris Esprit Minkala II, Dikas Aldin, Gilféry Ngamboulou, Fann Attiki, Annaïg Soulabaille, Louis Assimon

Son : Donald Bouesso

Dans le programme du festival, il est écrit dans la présentation du spectacle qu’il s’agit «d’une plongée dans l’Histoire et plus particulièrement la transition entre la période précoloniale à celle qui suivit». Cette pièce de théâtre nous plonge dans la destinée de Savorgnan de Brazza (1852-1905), de sa naissance à sa mort, et la pièce est structurée comme telle : ouverture avec les parents et le bébé, dans l’Italie de l’époque, clôture de la pièce avec la mort de de Savorgnan de Brazza, à Dakar. Cet explorateur italien, naturalisé français, est un officier de marine qui a ouvert la voie à la colonisation française en Afrique centrale. Au cœur des hommes nous propose une plongée dans des moments clés de la vie de Savorgnan de Brazza. Des épisodes, comme des tableaux qui se suivent, y sont racontés :  l’arrivée de l’explorateur sur les terres de l’actuel Congo – et notamment lors de sa deuxième mission lorsqu’il atteint le fleuve Congo en 1880 et propose à Illoy 1er, Makoko de Mbé, chef des Téké de Mbé, de placer « son pays » sous la protection de la France et la trop célèbre signature de ce traité par un chef présenté comme analphabète. De ce traité, naîtra un établissement français à Nkuna, endroit appelé plus tard et dont le nom perdure jusqu’à aujourd’hui Brazzaville, du nom de l’explorateur.  Sa rencontre avec un autre explorateur tristement célèbre le belge Stanley, son rival au service de Léopold II pour occuper les terres de part et d’autre du fleuve. Son retour en France, où la popularité de ces explorations lui permet de partir pour de nouvelles missions. Sa retraite anticipée en Algérie pendant huit années. Sa nouvelle mission en 1905 pour inspecter les conditions de vie dans les colonies, avec le fameux rapport qu’il a alors écrit, le rapport Brazza, qui dénonce les intérêts des compagnies privées sur les terres coloniales; Sa mort de maladie ou d’empoisonnement le 14 septembre 1905, à Dakar.

Pendant le spectacle, des spectateurs sont sortis, visiblement mécontents. A la fin du spectacle, un spectateur congolais a interpellé les acteurs directement, juste après les saluts, pour dire qu’il n’était pas possible de montrer cette image de Savorgnan de Brazza de cette manière aujourd’hui. D’autres spectateurs, notamment étrangers, ont adopté la même position.  Une partie du public a donc manifestée son mécontentement en ce qui concerne le rôle qu’attribue le metteur en scène à Savorgnan de Brazza dans l’Histoire et sur le fait que la pièce met en avant les bienfaits et le côté humaniste de de Brazza par rapport à l’homme noir, « son semblable », alors que le côté obscur de sa vie, le pillage des hommes et des ressources africaines, le commerce des esclaves par sa métropole, les travaux forcés, la guerre d’Ambuilla sont laissés de côté. Le coté humaniste que la pièce donne à l’explorateur, prolongeant là sa légende, a été contesté par certains spectateurs, visiblement très mal à l’aise. On ressent d’ailleurs, à la lecture de la description de la pièce dans le programme, combien la présentation qui est faite dans ce spectacle de Savorgnan de Brazza est celle d’un grand explorateur, qui a bien servi la France où il avait lui-même été naturalisé. Je cite : «Il voulut faire partie des grands explorateurs qui lui ont servi d’exemple et donner une colonie à la France qui l’avait accueilli.»

D’après les propos que j’ai pu recueillir après le spectacle, de nombreuses questions se posaient pour les spectateurs. J’en cite là quelques-unes :

Pierre Savorgnan de Brazza partait t-il à la conquête des territoires sans armes à feu (comme le dit notre dicton: «Peut-on aller à la chasse sans fusil?») ? N’était-il vraiment qu’un humaniste rêveur et naïf comme le suggère le spectacle ?

Que pouvons nous dire sur son projet, celui d’une construction d’une voie ferroviaire entre Brazzaville et Pointe-Noire pour exploiter les territoires, qui nécessitait beaucoup de travail forcé?

Serait-ce les Français qui aurait construit ces voies avec leurs mains ou bien les noirs?

Pourquoi mettre un dialogue en lingala sur les terres Bakongo, où on ne parlait pas le lingala? Qu’en est-il de sa demande de matériaux de construction à la France ainsi que de son idée de conquérir les sols tchadiens, de l’Oubangui (RCA) et gabonais?

Cela pouvait-il être possible sans massacres?

Ne pouvait-on pas souligner d’avantage combien la signature du traité entre lui qui ne parlait le teke et Makoko qui ne parlait pas le français était une arnaque?

Tout n’est certainement pas à jeter dans l’histoire de cet explorateur et il importe de continuer de chercher sur cette partie de notre histoire. Mais le malaise provoqué par ce spectacle pour une partie des spectateurs provient sans doute du fait que dès le départ de la pièce, de Brazza est présenté comme un sauveur idéaliste, et que ce manichéisme de la pièce peut être dérangeant pour ceux qui veulent interroger cette histoire. Peut-on imaginer les vraies intentions de de Brazza à son arrivée sur le fleuve Congo? D’autre part, alors que le peuple congolais essaie d’effacer de sa mémoire l’histoire relatée par nos grands-pères et mères sur l’esclavage et les travaux forcés, pourquoi cette pièce où les acteurs noirs jouent le rôle des esclaves et nous rappellent ainsi à cette condition? La polémique suscitée hier soir par Au cœur des hommes ouvre à un véritable questionnement : comment accéder à la vraie version de notre propre histoire? Comment en parler sans être dans la légende ou le mythe?

Tant de questions et de problèmes graves que soulève ce spectacle qui ont été posées par un public très majoritairement en désaccord sur le fond comme sur la forme de la pièce lors de l’espace carrefour du 21 décembre 2019, où comme il est de coutume, le travail proposé par les spectacles montrés par le festival est discuté entre le metteur en scène, les comédiens et le public. Parmi les questions, j’en relève ici quelques-unes :

  • Pour quelle raison les comédiens congolais ont-ils accepté de jouer des rôles d’esclaves dans une pièce qui est une insulte pour le peuple congolais, qui, loin s’en faut, n’a pas la même vision humaniste de de Brazza?
  • Pourquoi ce choix de jouer cette pièce à Mantsina, dans une commune assez sensible comme Makélékélé?

En réponse, John Ottavi a expliqué qu’il ne l’a pas fait pour glorifier les mérites de de Brazza car il est conscient que ce n’est pas un saint mais qu’il n’était pas intéressé par la dimension politique ou ne voulait pas faire du théâtre politique ou encore inscrire son spectacle dans un contexte socio-politique toujours sensible.
En définitive, John Ottavi semble avoir écrit et mis en scène la seule partie officielle et légendaire de l’histoire, dont les sources demandent à être sérieusement revues, dans une approche critique nécessaire nous semble-t-il sur un tel sujet, nécessairement politique, quoique s’en défende John Ottavi.

Credo Eguenin

Article réalisé dans le cadre de l’atelier Les Bruits de Mantsina 2019

 

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Mantsina 2019: Echo, un spectacle dans la forêt mis en scène et joué par Lena Paugam, de la Compagnie Alexandre

Un texte de Xavier Maurel, avec la participation de danseurs amateurs de Brazzaville, sur une musique d’Arnaud de La Celle

Echo est une pièce écrite par Xavier Maurel pour Lena Paugam, autour de la figure d’Echo et celle de l’insaisissable Narcisse, en résonnance avec le récit, contemporain, de l’histoire d’une femme perdue dans la mélancolie, suite au suicide de son compagnon. En voici le résumé:

« Echo s’interroge sur la détresse de Narcisse, désespérément plongé dans la contemplation de son insaisissable image, à la recherche d’un moi inexorablement perdu. Elle se donne la mort comme pour échapper à sa propre mélancolie ou pour trouver un autre temps, un temps où, nous dit l’auteur, «les choses étaient plus faciles»…

La mise en scène de cette pièce dans la forêt de la patte d’Oie, au milieu des immenses eucalyptus, dans un lieu jusque là insalubre et connu pour être mal fréquenté, nous a profondément marquée. Les spectateurs étaient accueillis autour de neuf cercles concentriques, soigneusement dessinés à l’aide de feuilles. Ce cercle, en forme de labyrinthe, nous place immédiatement dans l’espace du rite, au cœur de la nature, et au cœur de la plus grande solitude humaine.

Le théâtre en situation de risque, fragile au milieu de la forêt et de tous les bruits venant le perturber (les tronçonneuses, les bruits de toutes sortes venus parasiter la voix de la comédienne), réussit magnifiquement à créer une collectivité entre les acteurs et les spectateurs, partageant le même rite, celui de reconstruire la parole. Le chœur de danseurs non-professionnels, des jeunes de 17 ans venus du hip-hop, nous ont impressionné dans leur présence et leur incarnation. Une seule femme était dans ce chœur, elle était le corps d’Echo là où Lena Paugam incarnait sa parole. L’aspect minimaliste du décor et des costumes nous a frappé par sa simplicité et sa grande beauté, notamment avec les offrandes au public de couronnes faites de lianes et de feuilles. Le mot de la fin, douceur, est vraiment bien choisi, pour clôturer un moment si plein de sens, de tristesse et de douceur, celle de retrouver l’espace du silence et celui de la parole à nouveau possible.

Roston Francel Samba

Article réalisé dans le cadre de l’atelier Les Bruits de Mantsina 2019

Mantsina 2019 : Retour sur l’extraordinaire folie d’Hamlet, mise en scène de David Bobée

Le texte de William Shakespeare, Hamlet, a été magnifiquement interprété le 20 décembre 2019, dans le cadre de la seizième édition du festival Mantsina-sur-scène, à même la rue Mbemba Hyppolite, devant un très large public, enfants et bébés compris. La mise en scène est de David Bobée et la troupe de comédiens de Pointe-Noire et de Brazzaville. L’occasion a été ainsi donnée au public du quartier Matour à Makélékélé de vivre une mise en scène tout à fait singulière et inoubliable.

Le spectacle, qui dure trois heures, se déroule avec grâce, on croirait assister à une improvisation bien synchronisée. Hamlet, une pièce de théâtre remplie de folie et de cruauté, a trouvé là, grâce à la superbe chorégraphie des danseurs, une orchestration saisissante.

La pièce s’est totalement adaptée à l’environnement et c’est dans le décor naturel de la rue que les quinze comédiens et danseurs ont joué, utilisant chaque élément de la rue, repositionnant le public à plusieurs reprises avec une joie et une rapidité extraordinaires compte-tenu de la foule. La scène a ainsi changé d’axes à plusieurs moments, et la tragédie s’est chargée progressivement de ce rapport non frontal et impliquant chacun émotionnellement, jusqu’à son paroxysme, la mort de tous sur scène, sous le regard du fossoyeur.

Raïtel Yengo et Rodney Zabakani
Article réalisé dans le cadre de l’atelier Les Bruits de Mantsina 2019

HAMLET
Texte: William Shakespeare
Mise en scène: David Bobée
Produit par: Pierre Claver Mabiala, de l’espace YARO
Distribution:
Mouz Ferregane (Hamlet)
Alexandra Guenin (La Reine)
Nestor Mabiala (Le Roi)
Pierre Claver Mabiala (Polonius)
Harvin Isma Bihani Yengo (Laerte)
Mixiana Livty Laba (Ophélie)
Rockaël Mavounia (Horatio)
Orlande Zola et Steven Lohick Ngondo (Guildenstern & Rosenkrantz)
Hardy Moungondo (Osric)
Nicolas Mounbounou (Le Fossoyeur, la troupe)
Merveille Toutou (Le Spectre, la troupe)
Fred Obongo, Maël Ouemba, Jean Bonheur Makaya, Jules Mvouma-Lebanda (la troupe)

Régie Lumière : Stéphane Babi Aubert, Massengo Borel, Mavoungou Patricia Aimée, Konongo Cléo; Son : Guy Narcisse Makanda

Mantsina 2019: Retours sur Zoartoïste, texte, mise en scène et jeu par Catherine Gil Alcala

Le spectacle/performance Zoartoïste de Catherine Gil Alcala, auteur et comédienne qui nous vient de France, s’est joué à l’institut Français du Congo ce jeudi 19 décembre, dans la grande salle. Ce spectacle est singulier, dans sa forme et son propos, je vais essayer ici d’en restituer quelques moments vécus.

La présence de la comédienne sur le plateau, seule, avec une poupée entourée de fils barbelés, pieds nus ou tournant avec une seule chaussure à talon, munie tour à tour de différents instruments, guitare, clochettes, tambourin, ainsi que le texte qu’elle profère, nous font immédiatement penser à un rite des morts et de renaissance.

La voix de la comédienne se transforme, de crécelle à une voix grave, son corps épouse différentes formes, et ses métamorphoses semblent être des voies qu’elle trace pour s’évader dans un monde mythologique. Qui est Zoartoiste? C’est le nom d’une divinité animale. Il était intéressant de voir comment son imaginaire des forêts, des fleuves, du monde de la mer, des divinités, ses incantations, pouvaient résonner ici à Brazzaville, alors que Catherine Gil Alcala nous a confié prendre pour la première fois l’avion de sa vie pour ce déplacement.

Extraits de Zoartoïste: «Mon père et ma mère me volent le premier sanglot de vie qui est la manifestation de l’âme du mort à la naissance…A la place, comme l’écho de ma détestation, un rire de sauvagerie oraculaire éclate dans le ciel de ma naissance.»

Roston Francel Samba
Article réalisé dans le cadre de l’atelier Les Bruits de Mantsina 2019

 

Mantsina 2019: Entretien avec Catherine Gil Alcala, artiste invitée au festival (France)

LES BRUITS DE MANTSINA: Quel était votre état d’esprit avant le spectacle?             

Catherine Gil Alcala: Je me suis reposée aujourd’hui parce que j’ai beaucoup répété les jours précédents. C’est ce que je fais avant tous mes spectacles et avant d’être sur scène, je me repose et j’essaie de méditer pour avoir l’esprit tranquille.

LES BRUIT DE MANTSINA: Est-ce la première fois que vous jouez à Brazzaville et dans le festival Mantsina? 

Catherine Gil Alcala: Oui c’est la première fois que je viens jouer en Afrique en général et à Brazzaville en particulier. J’étais super contente d’etre invitée ici et ma motivation d’essayer de vous faire rentrer dans mon univers. J’espère que je vais y arriver, après c’est vous qui allez me dire ce vous avez ressenti.

LES DE BRUIT DE MANTSINA: Qu’est-ce qui vous a plu lors de votre arrivée à Brazzaville?

 Catherine Gil Alcala: A mon arrivée, j’étais vraiment hallucinée par les rues de Brazzaville, je ne réalisais pas du tout ce qui se passait. Voilà j’avais vu Brazzaville sur des photos et sur des vidéos et donc j’étais à Brazzaville pour de vrai ! Je ne comprenais absolument pas ce qui se passait et c’est le lendemain seulement que j’ai réalisé où je me trouvais. il y a beaucoup d’inspirations, de talents et de grand artistes ici et j’aime bien l’ambiance de Brazzaville.

LES BRUITS DE MANTSINA: Le festival Mantsina-sur-scène, que représente-t-il pour vous?

Catherine Gil Alcala: Je pense que c’est un festival de qualité. Je connaissais Dieudonné Niangouna,  je l’avais vu jouer au théâtre et puis j’avais entendue un texte de Sylvie Dyclo- Pomos J’ai vu sa mère aussi jouer au théâtre. C’est une belle famille de comédien qui représentent ce festival ! C’est très important pour moi d’être invitée à un festival que j’estime et ça fait du bien de sortir de France, de rencontrer un nouveau public. C’est vrai que ce n’est pas la même atmosphère qu’à Paris évidemment, j’avais besoin de ce dépaysement total. J’aimerais découvrir ce pays, découvrir Brazzaville, parce que pour connaître il faut rester longtemps et ce qui est dommage c’est que je ne reste que dix jours seulement.

LES BRUITS DE MANTSINA: Pourquoi jouer Zoartoiste dans le festival Mantsina?

Catherine Gil Alcala: Alors Zoartoiste a été le choix des organisateurs du festival. J’ai fait trois propositions et l’on en a retenu deux, c’est génial. Dans le festival, une compagnie de Brazzaville fera aussi une lecture d’un de mes textes, la Tragédie de l’âne, la compagnie Nsala. J’ai beaucoup joué à Paris et en Belgique aussi. En Afrique, comme je vous le disais, c’est la première fois que je fais découvrir mon travail.

Propos recueillis par Roston Francel SAMBA, le 18/12/2019 à Brazzaville
Article réalisé dans le cadre de l’atelier Les Bruits de Mantsina 2019