La scène a lieu à Fontainebleau puis à Paris, en 1996. C’est l’histoire d’un peintre, Lebamb’ou-Gatsé, qui déclenche par un tableau, La Gueule de Rechange, une vague de folie, une catastrophe cosmique, qui ravage toute la région de Fontainebleau et provoque des embouteillages où des millions d’automobilistes sont pris au piège. C’est une pièce où Sony Labou Tansi montre combien l’univers et sa grandeur sont incommensurables à la science et combien les réponses des scientifiques sont comme des cailloux dans la bouche d’un affamé. Retour sur cette mise en scène, unique à ce jour, sur un texte peu connu de Sony Labou Tansi, publié en 2015 (dans La Chair et l’Idée, Les Solitaires intempestifs, Paris).
La Gueule de rechange à l’IFC lors de Mantsina 2019
Notes de mise en scène: Toute la scène devient une fête foraine, une foire aux idées. Chacun vient y déverser sa gueule comme avec une radio de poche dans les mains du régime. A l’impitoyable gymnastique esthétique de l’auteur, je riposte par une impitoyable gymnastique scénique. Une gymnastique des corps et des tableaux, une gymnastique du dire, du comment dire par la voix, le souffle, par la sueur, par le geste… bref par l’acte théâtral. Dans La Gueule de rechange j’éprouve le corps de l’acteur, il devient matériau, il devient produit de fabrication, matière première d’une usine de fabrication de ce peut être esthétique dont parle Sony. Tout se construit et se déconstruit au fil des scènes. S’éprouvent aussi la parole et les idées.
J’ai opté pour une scène vide afin que l’ensemble du spectacle ressemble à un tableau qui se peint en direct, une toile qui se tisse devant les yeux du public et dont le matériau et les ingrédients ne sont autres que le corps des acteurs.
L’énergie que les comédiens déploient dans La Gueule de rechange, cette envie de dévaluer la tête au profit du cœur, arrive dans la sincérité vers le public, dans la simplicité de l’acte d’être. La complicité pétillante de cette jeunesse volontariste et prête à boxer jusqu’à la dernière goutte de salive devrait permis que l’acte théâtral soit tonitruant.
Harvey Massamba
Harvey Massamba
Les Bruits du Mantsina: Pourquoi le choix de ce texte Harvey Massamba?
Harvey Massamba: Dès que je l’ai lu, ce texte m’a tout de suite interpelé et j’en suis tombé amoureux. Finalement les textes de Sony ont cette manie de me rendre bleu d’amour pour eux puisque pour la petite histoire c’est aussi parce que je suis tombé fou amoureux de Antoine m’a vendu son destin que je suis arrivé au théâtre. Donc après lecture, j’ai trouvé que La Gueule de rechange était le texte du moment parce que bien qu’étant écrit en 1974, il est d’une actualité percutante. Au-delà de ce fait, il y a entre ce texte et moi beaucoup d’autres liens par exemple: le personnage principal s’appelle Lebamb’ou- Gatsé et moi Massamba Ngatsien, vous me diriez oui mais où est le lien? Eh ben, Gatsé et Ngatsien c’est au fait le même nom, un nom Téké qui signifie propriétaire de terre. Deuxièmement, je suis né le 2 juin 1974 et Sony a achevé l’écriture de ce texte le 2 août 1974, donc deux mois juste après ma naissance. Et enfin, en lisant l’historique de ce texte j’ai découvert que La Gueule de rechange et moi nous sommes frères du même village. Sony a amorcé réellement l’écriture de ce texte en voulant échapper au couroux du représentant du PCT (le parti au pouvoir en ce moment et encore aujourd’hui) suite à un spectacle dont le texte n’avait pas plu au représentant de ce parti à Kindamba.
Les Bruits de Mantsina: Nous avons tous été impressionnés par l’inventivité de votre mise en scène, la créativité de votre rapport scène / salle. Comment s’est passée cette nouvelle mise en scène de La Gueule de rechange, puisque vous l’aviez déjà mise en scène avec d’autres comédiens en 2015, lors de l’édition de Mantsina consacrée à Sony Labou Tansi?
Harvey Massamba: Déjà, il me faut dire que pendant trois ans, je n’ai plus vraiment travaillé, joué, mis en scène. Sinon récemment, où j’ai travaillé à Pointe-Noire suite à la venue de David Bobée, avec les acteurs qu’il avait amené à Pointe-Noire. Lui travaillait avec les comédiens congolais sur Hamlet et moi je travaillais avec les comédiens français sur un texte d’un auteur congolais, Le destin glorieux du maréchal Nnikon Nniku, prince qu’on sort de Tchicaya U Tam’si (Présence Africaine, Paris, 1979). L’idée maintenant est de rassembler des moyens pour faire revenir les acteurs français et les mêler avec les acteurs congolais pour finaliser cette pièce. Cela va prendre du temps pour trouver les moyens pour travailler à ce projet. Relancer La Gueule de rechange, dans cette envie, je me suis confronté à une réalité, c’est que la majorité des acteurs qui étaient là dans la première version ne sont plus là. Un comédien est à Lille pour se former dans une école de théâtre, une comédienne est au Maroc, une autre est très occupée avec le slam, en tout cas, c’est une vraie satisfaction pour moi de savoirque cette première génération de comédiens sortis de mon école, chacun a su se faire une place et évoluer. Là mon idée, c’est de former un nouveau groupe de jeunes pour que l’on n’ait pas cette pénurie d’acteurs sur le terrain, parce que c’est cette pénurie qui fait que Boris Esprit Mikala II se retrouve dans quatre spectacles pour une seule édition! Cela devient pesant pour eux, et pour Boris, c’est difficile d’être au maximum de ses capacités, c’est le corps, et cela demande du temps de mûrir un personnage, quand bien même il a beaucoup de talent.
La Gueule de rechange, à l’IFC (c) Sky
La Gueule de rechange, à l’IFC (c) Sky
La Gueule de rechange, à l’IFC (c) Sky
Quand je décide de reprendre La Gueule, j’essaie d’y apporter quelque chose de nouveau. Au fil des réflexions, je me suis dit je vais essayer de ne pas distribuer un comédien par rôle, je vais essayer de voir comment les comédiens peuvent s’interchanger tous les rôles au fil du spectacle. Après j’y ai mis une limite, pour les personnages principaux, au fur et à mesure que l’on avançait. J’ai utilisé un masque neutre, pour Schneider par exemple, jouée par plusieurs comédiennes. Lors de la première version, j’avais pris en charge la préface et les commentaires de l’auteur à l’intérieur de la place, là je me suis dit je vais essayer d’éclater cela pour apporter de la diversité au niveau de la narration en montrant que c’est toujours la même personne qui parle. J’ai mis des maques pour cela comme je vous le disais, au début. Je me suis dit quel est le jeu, quel est l’acte théâtral que je pose avec ces préfaces? J’ai pensé à notre enfance, au jeux au clair de lune où on se raconte des histoires. D’où ce premier tableau, qui sont des avertissements de Sony sur cette chose qu’il était en train d’écrire. On joue et en même temps, on fait passer le texte. Et puis, finalement, j’avais personnellement voulu ne pas être dans la pièce, pour avoir de la distance, surtout que pour une bonne partie d’entre eux, c’est leur première scène, ils sortent pour la plupart du slam, comme les deux comédiennes, je voulais prendre du temps pour les emmener au théâtre. Mais l’un des comédiens n’a pas pu aller jusqu’au bout du travail, trop occupé et à cinq jours de la représentation, j’ai pris son rôle.
Les Bruits du Mantsina: Combien de temps avez-vous eu pour répéter ce spectacle?
Harvey Massamba: Nous avons eu trois semaines seulement pour la monter, et aucun budget. Pour les costumes, et quelques éléments de décor, nous avons fait de la récupération. On a fabriqué des choses avec rien, vraiment. Là où j’ai réussi à motiver l’équipe, je leur ai dit que je n’aimais pas créer un spectacle sans lendemain, je leur ai dit si pendant les trois ans je n’ai pas créé, c’est à cause d’une situation compliquée personnelle, désormais, cela va mieux et je peux essayer de chercher des partenaires pour faire tourner ce spectacle et le montrer ailleurs. J’ai beaucoup réfléchi pour créer quelque chose de joyeux et de vivant, où tout bouillonne. L’introduction de la musique en live me permet aussi d’introduire cette effervescence sur le plateau. J’ai encore du travail, pour que le rythme soit tenu sur toute la durée du spectacle (1h45), pour raccourcir certaines scènes, je vais le faire, car j’aimerais porter loin ce texte.
Texte: Sony Labou Tansi Mise en scène: Harvey Massamba Assistant à la mise en scène: Fann Attiki Mampouya Avec: Theresa Diakanua N’silu, Guervie Gobouang, Harvey Massamba, Boris Esprit Mikala II, Bienvenu Makita, Thalès Bourgeois Zokene, Fann Attiki Mampouya Musique: Abia Makita
Entretien mené dans le cadre des ateliers Les Bruits de Mantsina
« Sony fait partie des grands écrivains qui aident littéralement à vivre »
>> Entretien réalisé par Aminata Aidara à lire sur le site d’Africulture
A l’occasion des 20 ans de la disparition de l’auteur et metteur en scène Sony Labou Tansi, l’anthropologue et maîtresse de conférence Julie Peghini (qui prépare actuellement un film documentaire sur Sony, Je mourrai vivant) coordonnait fin 2015 avec Nicolas Martin-Granel, sur une idée de Jean-Damien Barbin, l’ouvrage La Chair et l’Idée. Théâtre et poèmes inédits, lettres, témoignages, écrits et regards critiques. Y figure notamment la pièce La Gueule de rechange,au centre de cet entretien avec l’universitaire et Harvey Massamba, comédien et metteur en scène, qui vient de monter cette pièce au festival Mantsina sur scène. Il est actuellement à Lyon où il suit une formation à l’ENSSAT afin de monter son école supérieure de théâtre de Brazzaville, projet auquel il travaille depuis 2013.
La Gueule de rechange de Sony Labou Tansi mise en scène par Harvey Massamba avec les élèves de sa compagnie Nsala, a été présentée pendant le festival Mantsina Sony sur scène les 19 et 28 décembre 2015. Note d’intention du metteur en scène.
Tout commence dans une atmosphère quelque peu mystique pour mieux rendre compte du rapport que Sony, en tant que fils des deux rives, donc pont sur le Congo, entretenait avec le fleuve. Trois sirènes et un homme sur le rivage qui semblent invoquer la puissance du fleuve. Les sirènes se prêtent au jeu et sortent du fleuve pour aller forniquer avec l’homme. Ce rapport au fleuve que certains développent côtoie simultanément celui plus basique que le plus grand nombre de riverains entretient avec cette étendue d’eau qui nous questionne de son regard kaki. Une rivière, un fleuve, une étendue d’eau. Des rapports différents.
Puis la rupture, toute la scène devient une fête foraine, une foire aux idées. Chacun vient y déverser sa gueule comme avec une radio de poche dans les mains du régime.
A l’impitoyable gymnastique esthétique de l’auteur, je riposte par une impitoyable gymnastique scénique.
Une gymnastique des corps et des tableaux, une gymnastique du dire, du comment dire par la voix, le souffle, par la sueur, par le geste… bref par l’acte théâtral. Dans La Gueule de rechange j’éprouve le corps de l’acteur, il devient matériau, il devient produit de fabrication, matière première d’une usine de fabrication de ce peut être esthétique dont parle Sony. Tout se construit et se déconstruit au fil des scènes. S’éprouvent aussi la parole et les idées.
J’ai opté pour une scène vide afin que l’ensemble du spectacle ressemble à un tableau qui se peint en direct, une toile qui se tisse devant les yeux du public et dont le matériau et les ingrédients ne sont autres que le corps des acteurs.
La Gueule de rechange est aussi l’aboutissement d’une initiation qui aura duré quatre ans. J’ai voulu pour consacrer cette première génération de comédien sortie de mon école, être avec eux sur le plateau. Cela a valeur de signature sur leur diplôme de fin de formation. Ils sont arrivés avec leurs ailes d’envie de foutre une raclée à cette vie, de boxer la situation, de nommer ce qui veut décréter aujourd’hui et maintenant la fin de l’humain. Ils ont aujourd’hui les jambes assez solides pour rixer avec les prophètes de l’agenouillement, ceux qui regardent du coté de l’existence où il n y a absolument rien afin de leur montrer le côté de la vie où il se passe quelque chose. L’énergie qu’ils déploient dans La Gueule de rechange, cette envie de dévaluer la tête au profit du cœur arrive dans la sincérité vers le public, dans la simplicité de l’acte d’être. La complicité pétillante de cette jeunesse volontariste et prête à boxer jusqu’à la dernière goutte de salive a permis que l’acte théâtral soit tonitruant.
Kimpa Kaba est le nom d’un collectif porté par cinq étudiants de l’ENSATT dont Caroline Frachet, scénographe, qui fut assistante du metteur en scène Harvey Massamba au cours d’un séjour au Congo Brazzaville.
Ce collectif a d’abord eu pour objectif la mise en place du Labo Kaba, un chantier collaboratif qui s’est déroulé en juillet 2015 et dans lequel s’inscrit la création d’un théâtre éphémère à Nganga Lingolo, un quartier de Brazzaville.
Cette initiative est le résultat de plusieurs mois d’échanges entre les cinq étudiants et Harvey Massamba autour d’un projet beaucoup plus large, celui de la création de l’École Supérieure de Théâtre de Brazzaville, première formation aux métiers du spectacle sur ce territoire. Mais, pour qu’elle voie le jour, un long chemin doit être parcouru, des partenariats établis, et surtout, la communauté artistique congolaise doit en être convaincue.
C’est pourquoi, depuis le 4 janvier et jusqu’au 4 mars 2016, Harvey Massamba est également accueilli en stage auprès de la direction et de l’équipe pédagogique de l’ENSATT en vue de préparer la rédaction de son dossier de présentation de sa future école.
A cette occasion, l’ENSATT accueille plusieurs événements autour du Congo du 1er au 12 février, cf programme sur l’affiche ci-dessus.
Harvey Massamba Je ne saurais vraiment le dessiner à moins que je ne remplisse la terre entière d’une tête dont les cheveux serviraient de paratonnerre aux habitants.
Abdon Fortuné Koumbha Sony pour moi était un passeur. Sony est celui qui nous a «autorisé» à croire que l’Art pouvait nous permettre d’exister.
Jean-Paul Delore Je sais pas quel Sony, mais je veux bien boire un verre dans le bar qu’il tiendra à Brazzaville!
Étienne Minoungou Une fulgurance, comme Thomas Sankara, un géant lumineux avec la bouche grande ouverte, debout, entre la déflagration du Big-Bang et le ciel à l’horizon sombre du prochain Apocalypse. On ne peut pas dessiner Sony, on le peint ou on le sculpte mais alors il faudrait avoir pour tableau ou matière, le cosmos ou la joue d’un enfant ou encore un bout du lit du fleuve Congo…
Rufin Mbou Mikima Mon Sony a 20 ans. Il a un porte-voix aux couleurs du Congo, le drapeau du Burkina Faso sur la tête et un t-shirt sur lequel il est écrit: « Les voix du peuple » disent leur « Ras-le-bol »…
Kouam Tawa Je dessinerai un homme frêle qui écrit debout. Je pense à ces mots de Jacques Chevrier sur la 4e de couverture de La Parenthèse de sang publiée en 1981: « Depuis qu’on a donné à Sony Lab’ou Tansi un crayon et une feuille de papier, il ne les a plus lâchés. Il écrivait sur ses genoux au lycée; aujourd’hui il écrit debout ou sur les coins de table; il écrit la nuit, il écrit le jour… et quand il n’écrit pas, il pense à ce qu’il va écrire. »
Dessin Marie-Charlotte Biais
Papythio Matoudidi YAAAAAHHH quelle question ! On ne peut pas dessiner Sony, Sony c’est le monde, c’est l’univers ! C’est beaucoup de choses… c’est des milliards de mots Sony. C’est: force, parole, sagesse, prophétiser, appartenir, donner, jouir, pouvoir, révolution, militantisme, armée des mots, volonté, espoir, prière, vie, créature, connaître, paraître, devenir, résurrection, jouissance, être grand, être petit, peuple, main levée, couloir, porte, trou, plaisir, baise, croire… Sony pour moi c’est fleurir, couler, fleuve Congo, fleuve, eau, verseau, année, millénaire, éternel, semer, exister, humain, homme, terre, monde, Mouamongouba. Sony c’est aussi La Main bleue, l’aéroport Maya Maya, c’est aussi la grande avenue Mbemba-Hyppolite, c’est aussi Brazzaville avec ses moments de jouissance, ses moments au cercle Sony, c’est Mantsina, c’est le Socle des Vertiges, c’est Sheda, c’est l’Antépeuple, ce que je vais dire simplement : c’est tous les mots qui existent sur la terre, tous les mots qui donnent la vie, l’espoir. Tous les mots qui sont une prière, parce que ce que Sony écrit c’est une prière, pour moi d’où je viens, du Congo, c’est une prière, ça me donne de l’espoir, ça me guide, ça me donne beaucoup de choses… Voilà. «que le fleuve KONGO soit en nous pour toujours…»
Marcel Mankita Grand, mince et frêle. Genre 1m90 mais ne pesant que… 50 kilos. Une énorme tête (pesant le tiers de son poids total) dont le visage –en sueur– respire en même temps la timidité, la préoccupation et la détermination. Léger sourire aux lèvres. Pieds nus, il est vêtu d’un pantacourt gribouillé et d’un tee-shirt arborant –côté poitrine– un gars au bord d’un lac en train de pêcher et –côté dos– une statuette vaudou. Tee-shirt trempé par la sueur.
Dieudonné Niangouna Je crois qu’il ne fallait pas qu’il soit dessinateur. Parce qu’il y a un dessin de Sony que j’adore qui est au début je crois dans le bouquin L’Acte de respirer, ou il dessine une espèce de tête comme ça, avec un bec là tout le blablabla. Le défaut c’est qu’il était dessinateur et pour moi c’est une espèce de Picasso, parce qu’il regrettait il disait même «Ah si j’étais Picasso…». Je crois qu’il était un vrai vrai dessinateur, c’est à dire il ne pouvait que dessiner que, quand je dis comme Picasso c’est à dire je peux aussi dessiner comme un autre, mais c’est à dire par cette lecture réelle, il dessine l’âme de la chose, mais pas l’âme dans sa pureté et pas non plus l’âme dans son côté salasse ou vilain mais c’est à dire l’âme, la chose qu’on ne peut pas dessiner. Donc du coup, on ne lui prête que des formes. Mais ces formes là ne sont pas des formes dessinables, ni des formes écrites, ce sont des formes de sensations, de ressentis. C’est à dire, je vais dessiner la haine, la haine n’a pas un dessin genre carré, rond ou triangle, quand tu fais ce dessin là c’est la haine, non. La haine n’a pas de dessin. Parce que c’est un sentiment, c’est une sensation, c’est un truc qui n’a pas de forme. Donc dessiner complètement comme ça comme il le faisait, c’est évidemment la littérature de l’âme. C’est le dessin de l’enfant où il ne dessine pas la forme; il croit qu’il dessine la forme, mais l’enfant veut absolument dessiner les sentiments. Il veut dessiner comment il aime ce bonhomme-là. Et du coup ça ne marche pas proportionnellement parce que la forme ne veut pas des proportions. L’enfant il veut qu’on sache qu’il aime le petit bonhomme de neige. Donc il veut que dans son dessin on sache qu’il aime le petit bonhomme de neige. C’est ça qu’il veut dessiner. Il ne veut pas dessiner comment le petit bonhomme de neige est, il veut dessiner comment lui, il aime le petit bonhomme de neige; ou ce qu’il déteste chez Diabolo et Pénélope…
Dessin Sony Labou Tansi
Le défaut c’est que lui-même il a dessiné, et quand j’ai vu ce dessin je me suis dit «Ah merde, il m’a piqué comment moi j’allais le dessiner». Parce que j’allais le dessiner comme ça, cette tête là, avec des piques sur la tête, et un bec comme ça, et un œil là et puis l’autre, il n’y a pas d’œil… Oui parce que c’est la beauté du monstre, Sony c’est la beauté du monstre. Ce n’est pas le monstre beau, c’est pas le monstre joli, c’est la beauté du monstre. Et là beauté du monstre évidemment n’est pas que le monstre soit dégueulasse, n’est pas que le monstre évidemment soit gentil, la beauté du monstre c’est une chose qui est apparemment dépouillée d’un certain nombre de sentiments collés ou figés. Il n’est qu’une forme d’existence réelle. Comme quelque chose d’entier et qui ne peut pas se négocier et qui ne peut pas négocier, qui ne peut pas troquer, tu ne peux pas identifier à un autre, c’est pour ça que c’est un monstre. Nous, on est des êtres humains on se ressemble, mais un monstre est toujours spécial. Tu as un monstre et puis un autre monstre et ils n’ont pas de famille. Un monstre c’est un monstre. Sony c’est une espèce de chose toute seule comme ça, entière. C’est là où il est un monstre. Parce que c’est un monstre. Donc c’est pas beau, c’est pas laid, ça ne fait pas partie de nos vocabulaires, ça ne fait pas partie de nos trucs à nous, de juger, de regarder, d’équilibrer, tout le blabla. Mais il est, par une opération que lui même avait fait intrinsèquement, qui est une opération de devenir. C’est à dire de s’arroger une place. Il s’arroge une place pour refuser l’assignation. Il ne veut pas être assigné. Il ne veut pas qu’on l’appelle «poète engagé», il ne veut pas qu’on l’appelle «poète». Il ne veut pas qu’on l’appelle «écrivain», il ne veut pas qu’on l’appelle «metteur en scène». Il ne veut pas qu’on l’appelle, il veut que lui s’appelle. C’est en ça déjà qu’il crée le monstre en lui. Et c’est une technique de dissuasion assez importante. Pourquoi? Parce qu’à ce moment là, il crée une place. Il crée une place et il est vu. C’est à dire, il est entendu. Quand je dis qu’«il est vu il est entendu» c’est pas que sa question c’est pour qu’il soit vu, la question c’est pour que ce qu’il dit soit entendu. Or ce qu’il dit pour que ce soit entendu, il faut que ce soit lui qui le dise. Donc ça veut dire quoi? Il faut qu’on l’entende lui pour qu’on entende ce qu’il dit. Et du coup, par là il crée une mise en scène. Et la mise en scène il la fait où? À l’intérieur de son propre corps.
Il crée une mise en scène, c’est à dire il s’arroge une place. En commençant par refuser l’assignation.
Et en refusant de dire «on m’appelle». Il dit «je m’appelle» . Et il le fait il dit: «je m’appelle Sony Labou Tansi». Sur le papier c’est écrit Ntsony Marcel, mais il dit: «je m’appelle Sony Labou Tansi». Et tout le monde sait par quelle étape il est arrivé pour arriver à Sony Labou Tansi, c’est même ce qui prouve qu’il s’est fabriqué. Il a étudié beaucoup de pseudonymes avant Marcel Malinda, Soyi Soyinka… Il a eu beaucoup de pseudonymes comme ça, même les premiers textes il les a publiés avec d’autres pseudonymes. Mais c’est pas qu’il se cachait derrière ces pseudonymes là, il était en train de se chercher. Et un jour quand il a trouvé Sony Labou Tansi, là c’était le monstre: le monstre, le bec était là, l’oreille était là et au-dessus de la tête il y avait des ailes de dragon et au niveau des pieds qui étaient chétifs comme ça il y a avait des crocs, le monstre était complet. Et le monstre était complet comme quand il a trouvé le nom Sony Labou Tansi. Et du coup, rien que par cette recherche de nom, et c’était pas un nom qu’il cherchait c’était une forme d’identité réelle. Et cette identité réelle il ne peut pas l’emprunter. Il ne peut la trouver qu’à l’intérieur de lui. Donc il faut qu’il rentre, et dans ses goûts, et dans ses cauchemars, et dans ses fantasmes, et dans ses colères, mais du soi, c’est à l’intérieur de lui qu’il va réveiller tout ça. C’est à dire il n’a pas peur de regarder la vérité en face. «Regarder la vérité en face» veut dire quoi? Regarder l’horrible aussi. Veut dire quoi? Regarder la beauté aussi. Il va tout te regarder. Tu vas chier il va regarder ton caca pour savoir dans quoi on est. Quelqu’un va être content il va regarder son sourire, il est content. Quelqu’un va tirer sur quelqu’un la tête explose, le cerveau gicle il va pas faire «Oh je vais pas regarder». Il va regarder, réellement, pour dire «voilà la merde que nous sommes, voilà les conneries que nous faisons», il va regarder. Donc il n’y aura aucun endroit où il va chercher à jouer d’une complaisance donnée parce que sinon il va corrompre la pensée, et donc du coup, l’acte de témoigner du monde par l’homme.
C’est ça évidemment le monstre. C’est ça la beauté du monstre.
C’est qu’il va regarder ça. Il va complètement regarder ça. Il va dire «c’est moi qui regarde». Il y a tout un travail réellement en acceptant l’homme, c’est pour ça qu’il dit que «l’être humain est trop beau pour qu’on le néglige». En acceptant l’homme avec ses qualités et ses défauts, il faut d’abord qu’il l’accepte pour qu’il se batte à le ré-équilibrer. Pour qu’il se batte à le ré-équilibrer. Donc voilà, Sony c’est un processus de devenir. C’est juste un processus de devenir. C’est pas un excellent auteur, c’est pas un excellent poète, c’est pas un excellent dramaturge, c’est pas un excellent metteur en scène, c’est pas un excellent professeur, c’est pas un excellent maître conférencier, c’est un excellent sorcier. C’est à dire, comme les vieilles matrones, c’est comme le gars dans Astérix et Obélix qui fabrique la potion magique, c’est un vieux sorcier qui fabrique un filtre qui s’appelle «le processus de devenir». Le reste, il nous embrouille en écrivant une pièce de théâtre, en écrivant un roman, en écrivant un poème, ce sont des petits montreurs qu’il utilise, qui font partie de son procédé pour que les gens deviennent. Pour raconter son évangile à lui du processus de devenir. Il n’est pas metteur en scène, il n’est pas auteur, tout ça il s’en fout éperdument. C’est pour ça qu’il ne peut pas faire une conférence sur la littérature. C’est pour ça que la littérature ne l’intéressait pas. Il n’a jamais fait de conférence sur la littérature ça ne l’intéressait pas. Quand on lui proposait ça il dit: «on ne peut pas parler littérature ça n’a aucun sens», parler de la culture ça n’a aucun sens. C’est à l’être d’avoir la culture, on doit enseigner à la personne d’avoir la culture, mais on ne peut pas enseigner la culture, la culture c’est complètement se caresser les roubignoles sous le soleil. Ça n’a aucun sens. Sony c’est juste un sorcier. C’est une grand-mère qui fabrique des filtres, qui va te les donner comme ça quand tu vas les boire, tu n’auras pas froid pendant la saison, que le serpent ne va pas te mordre quand tu rentreras dans la brousse, c’est tout. C’est tout. C’est tout. C’est un petit sorcier. C’est un sorcier. C’est un sorcier. C’est l’art du sorcier. Il va passer par la transe pour vous déloger de chez vous. Comme ça tu vas te déloger de ton toi, tu vas te déloger de toi, pour évidemment être à même de regarder l’horrible en face et de regarder la beauté en face. Tu ne peux pas l’être si tu ne rentres pas en état de transe, donc il va provoquer la transe aussi, il va fabriquer un filtre qui va te faire boire. Ben oui! Tout ça là, c’est juste un sorcier.
Dessin Marie-Charlotte Biais
Et moi je crois que si Sony n’était pas parti à l’école, il sera toujours Sony. Contrairement à ce que beaucoup de critiques littéraires ont dit en disant «oui c’est quand même la langue française qui l’a sauvé, parce que tu vois, en étant parti à l’école…» tout le blabla « …ça l’a amené à écrire. Si Sony n’était pas parti à l’école, on n’aurai pas eu Sony». Moi je dis je crois pas. Je crois que si Sony n’était pas parti à l’école, il sera toujours Sony. Il sera Sony. C’est à dire il serait pas le mec qui écrit bien sûr mais ce sera toujours le même Sony. Ça veut dire quoi? Il sera un putain de sorcier dans son village. Il allait être un sorcier. Je ne dis pas forcément un gourou qui crée une secte, pas à cet endroit là. Mais il sera un sorcier et qui sera aussi connu tel qu’il est connu en tant qu’auteur. Il n’est pas mondialement connu, il n’est pas africainement connu. C’est à dire dans le petit espace, je dirai même pas célébrité, de l’endroit où il est connu, quand je dis connu, je parle du verbe connaître, c’est à dire où l’on s’est approché de sa littérature, où on a fait l’amour avec sa littérature. Donc on le connaît comme on connaît une femme, comme un homme une femme, ils ont fait l’acte de connaissance, tu vois? Voilà. Donc tu coup s’il n’était pas auteur, on aurait connu ce qu’il allait faire là, on l’aurait connu parce que c’est un sorcier, il est sorcier. Et sa manière de penser ne vient pas de l’école, ne vient pas parce qu’il a lu un bouquin. Ils étaient nombreux à lire ces bouquins là. Parce que intrinsèquement il y a quelque chose qui est née révoltant. Qui est née révolté. Quelque chose qui a été baigné dans la honte depuis sa naissance. Il est sorti dans cette cosmogonie où il vécu, avec ses histoires familiales, ses histoires de pouvoir. Quand il vient au monde, il arrive dans un pays où il y a un pouvoir comme ça, il est gamin, on mange dans la poubelle, il y a le oui et le non c’est la même chose, il y a la honte de la famille, il y a tout ça donc bébé, il naît et il se tape tout ça dans la gueule. Ok? Mais beaucoup de gens ont eu ces mêmes trucs là. Il n’était pas le seul qui est née pendant cette période là, ou qui est né dans ce village là, ou qu’on a aussi envoyé à l’école. Beaucoup de gens se sont tapé ces problèmes là. Mais pourquoi lui ça lui a fait ça? Ah ben parce que ces mêmes réactions, quand c’est tombé chez lui, ça a provoqué ceci pourquoi? Parce que évidemment il a un cœur de beurre. Ça fond. Et donc du coup, il est complètement transparent, il est complètement transperçable. Il est complètement transperçable, il est complètement mortel. Il est complètement la peur. Le mot qu’il dit la peur et la honte. Donc tout le monde le traverse comme ça, depuis petit. Le traverse comme ça. Donc il s’en rend compte, très bien compte, qu’on lui donne un sursis de 5 ans à vivre. Il a 5 ans pour vivre à après il crève. C’est comme un prématuré mais pas dans de le sens d’être né avant, il a des insuffisances comme quelqu’un qui a des insuffisances de cœur. Le docteur a dit «toi tu as 10 ans (à vivre)», il sait qu’il a 5 ans à vivre. Alors ce qu’il va chercher c’est quoi? C’est pas de vivre longtemps. Ce qu’il va chercher évidemment, c’est ça qui est beau, c’est que par sa maladie, il va chercher à reformer le monde. Pour dire que: «il y en a beaucoup qui ont vécu la même maladie comme moi, il y en a beaucoup qui pourront encore vivre cette maladie-là, il y en a beaucoup qui pourront vivre ces carences là. Donc il faut que je me batte pour que les enfants de demain ne souffrent pas de cette carence là.» Mais il n’a pas le médicament, alors qu’est-ce qu’il fait? Il s’invente docteur.
Dans le film documentaire Diogène à Brazzaville ça s’explique, quand il arrive à l’école à Brazzaville, il quitte la RDC, donc l’ex-Congo Belge à l’époque. Quand il arrive au Congo, dans la salle de classe, il se mettait à prendre des récréations, il se mettait toujours au coin de la classe, en train de créer des pénicillines. Lui même il le raconte dans le film Diogène à Brazzaville, en train de créer des pénicillines il attrape les insectes, il prend des bouts de bois, il crée des trucs comme ça et chaque fois l’instituteur le punissait pour dire «Ah ça c’est Sony qui est train de faire des fétiches pour que les autres élèves ne soient pas admis et que lui passe. Non, non, non. Il était déjà dans son laboratoire, dans son atelier. Mais pourquoi il voulait faire un atelier? Gamin à l’école primaire, pourquoi il avait besoin de faire un atelier? C’est que c’est d’abord un sorcier, c’est un être dans un laboratoire, c’est un savant. Il croit qu’il va fabriquer une espèce de Nivaquine, qu’on doit la prendre et fini le paludisme. Mais bien sûr! Donc il a ça depuis gamin et cette pénicilline qu’il invente comme ça avec ses bouts de bois, avec je sais pas moi… du sperme de lilliputien, avec la sève de tel écorce d’arbre, ou la morve de je ne sais pas quel animal, de quelle chèvre dans le quartier qu’il a ramassée, lui il croit qu’en mélangeant ça, on inventera un truc qui arrêtera le sous-développement. Donc il est comme ça avec toute l’innocence du gamin. Et quand on lui confisque son laboratoire dans la classe, il s’énerve, il a pris une feuille et il a rempli la feuille d’encre. C’est à dire, il a écrit. Ça veut dire quoi? Il continue à faire le laboratoire maintenant avec le stylo. Donc c’est pas l’écriture qui l’a sauvé, c’est pas l’écriture qui créé Sony, c’est quand on a confisqué son laboratoire. Qu’est-ce qu’il fait? Il continue le même laboratoire par un autre outil, par un autre outil c’est tout. Il continue son laboratoire avec le stylo. Et voilà pourquoi il est réellement poète à cet endroit d’être poète parce qu’il n’est pas poète par le papier ni par le stylo ni par la machine à taper. Il est poète parce qu’il veut inventé un médicament. Donc si c’est pas avec le stylo il fera avec le pinceau, s’il n’a pas le pinceau il le fera avec du pain, c’est pour ça que je ne crois pas quand les gens disent «si Sony n’était pas parti à l’école il serait perdu…» Non il serait toujours Sony. Il serait un sorcier, un magicien, un machin… Il sait très bien qu’on ne l’a pas inventé. Et c’est pas par orgueil tapageur qu’il le dit, il le dit dans une position très très consciente d’un mec dans son laboratoire avec ses pénicillines au fond de la classe. Il n’a pas demandé «est-ce que c’est juste?» Il n’a pas d’abord chercher la vraie Nivaquine le vrai machin et connaître le Ph non, c’est dans l’innocence complètement du fou, qu’il ne sait même pas si scientifiquement cet acide là marche avec ça non, non, c’est le courage de se dire que «je vais inventer ma science». Donc il croit comme un gamin qui joue, comme les filles jouent avec leur poupée, les gamins qui jouent avec les petites voitures, et ces machines qui rentrent là et lui il devient le héros. Il croit à ça dans cette réelle innocence. Et c’est là que le monstre se crée. C’est là qu’on rentre déjà dans la fabrication du monstre. C’est qu’il commence à s’auto-fabriquer monstre. Monstre pourquoi? Parce qu’à ce moment là il fait du Nietzsche «Ni Dieu ni Maître». «Je ne vais pas dire qu’est-ce qui est vrai qu’est-ce qui est faux des autres trucs qu’ils utilisent, la vérité c’est ce que moi je vais dire». Et c’est pour ça qu’il met encore cette phrase là dans L’Acte de respirer, quand il dit «le mal est mort le mal est mort le mal est mort, et le bien, le seul bien qui existe c’est moi. Il vente en moi, il bouge en moi, il fait lune en moi.» Mais quand il dit «le bien qui existe c’est moi» c’est pas qu’il est en tain de dire «c’est moi l’homme le plus beau, l’homme le plus gentil ou des leçons de morale» non, non. J’invente mon bien. J’invente le bien. J’invente. C’est j’invente, ça ne se vérifie pas. Ce que j’invente tu ne peux pas le vérifier avec autre chose. Ça ne se vérifie pas. C’est dans ma cosmogonie. Et c’est là évidemment l’écriture du monstre. C’est là évidemment la statue du monstre. C’est là où le monstre est différent de nous, parce qu’il n’y a qu’un seul monstre. Après tu as un autre monstre, ils ne se ressemblent pas, les humains se ressemblent, c’est là le monstre justement. «Un jour, il y en aura qui diront »je l’ai influencé », ils seront nombreux et voici ma réponse à tous ceux-là qui croient qu’ils m’ont influencé. Je dirai: »d’accord, vous m’avez influencé, mais je suis allé plus loin que vous, j’ai sauté plus haut que vous, accusez moi de cela, pas d‘autre chose, autrement soyez fiers de m’avoir engendré. C’est votre droit après tout. »» SLT. Tu ne peux pas influencer Sony c’est impossible (référence à la citation donnée), c’est impossible.
Tu peux être meilleur auteur que lui ça c’est très clair, tu peux être meilleur dramaturge que lui, tu peux être meilleur metteur en scène que lui ça c’est très clair, tu peux être meilleur enseignant que lui ça c’est très clair, tu peux être meilleur tout ce que tu veux, tu peux être meilleur formateur que lui ça c’est très clair, mais tu peux pas être meilleur que Sony ça c’est impossible.
Et ça, ça n’a rien à voir avec le fait qu’il écrive. Ça n’a qu’à voir avec l’organe pensant qu’il est. Cet espèce de macro-tracteur. Avec des doigts de chair quand on dormait là le lendemain il a fait des tentacules, cet espèce de macro-tracteur sorti de la terre. Voilà. Et c’est pour ça que sa première pièce s’intitule Conscience de tracteur. C’est la première pièce de théâtre qu’il écrit, il publie en 1976. Et le début de cette pièce dit ceci, c’est aussi avec ça que Ferdinand avec Léandre-Alain Baker quand il fait le film à Brazzaville, c’est le premier texte que tu entends dans le film, voix off tu entends cette phrase là, après on montre le fleuve Congo, une pirogue qui passe, et surtout cette voix, cet extrait là dit comme ça en voix off par Pascal Nzonzi avec une meilleure voix où il dit dans le prologue de Conscience de tracteur où il dit: «la première terre est passée, la deuxième terre est passée, la troisième terre est passée, la quatrième terre est passée, la cinquième terre est passée, il y eu 550 millions de terres passées, 550 millions de terres passées emportées à la dérive par l’espace et le temps. Puis le hasard en se mouchant fit l’homme. Et donc, si le hasard ne s’était pas mouché… Il lui donna deux bras et deux mains pour manœuvrer des mondes, de telle sorte que toute la création ne soit qu’une éternelle ébauche. Ébauche ou débauche? C’est à voir.»
C’est comme ça qu’il commence «c’est à voir». Mais le gars, c’est pas de la littérature. C’est de la philosophie pure. Mais laquelle? Mais pas la philosophie de la philosophie. C’est le monstre qui est train de créer son laboratoire. Le monde est inachevé et je crée le mien à l’intérieur. Et ça c’est ce qu’il a fait dans toutes ses œuvres, romans, poèmes, nouvelles, pièces de théâtre, par les premières phrases. Les premières phrases il te dit «c’est foutu», il dit «la première terre est passée». Dans Antoine m’a vendu son destin il commence comment? «Sommes-nous sortis du monde, Riforoni?», dans La Parenthèse de sang, il commence comment? Il dit «Ça commence». Lui il prend le stylo, il le pose sur la feuille, il dit «ça commence» mais c’est pas moi qui commence à écrire, le monde commence, à partir de maintenant. Comme dit Shakespeare au début de Richard III «Et voici l’hiver de notre déplaisir», «et maintenant», ça commence par moi, par l’acte de nommer et que moi je crains. Il dit ça commence, ça commence comme un match de football mais ça ne termine pas. «Les onze du sang contre les onze des entrailles. Et pas d’Afrique dans ce match s’il vous plait, car la situation de l’Afrique est à la limite distrayante. Attention l’arbitre est un ancien fou, il siffle à l’envers.» L’arbitre tu sais c’est qui? C’est lui. «Attention l’arbitre est un ancien fou, il siffle à l’envers.» Donc cette littérature là, c’est à l’envers. Ne la jugez pas par rapport à comment vous lisez le monde, vous allez vous tromper. Retournez là. Retournez là complètement. «L’arbitre est un ancien fou, il siffle à l’envers.» Comment il commence La Vie et demie? «Tout avait commencé quand Chaïdana avait eu 15 ans.» TOUT. Il dit TOUT. Pas cette histoire que je vous raconte. Le monde. Avec les Abraham qui avaient existé avant les Bonguiz, les Mama Ngounga, les Soundiata Keita, les Napoléon, tout ça avait commencé quand Chaïdana avait eu 15 ans. Pour le comprendre tu peux dire «non c’est peut-être moi qui exagère, c’est peut-être pas ça, mais lis la deuxième fois tu vas comprendre.» Il dit «Tout avait commencé quand Chaïdana avait eu 15 ans.» Deuxième phrase: «Mais le temps est par terre». Par terre, par terre. L’air par terre. Il cite tout, par terre. Il dit «même la terre aussi était par terre». Quand Chaïdana avait eu 15 ans, tout est par terre. C’est à dire, c’est le Big Bang. Sony nous parle du phénomène du Bing Bang. Dans toutes ses œuvres. Dont son dernier roman LeCommencement des douleurs, publié de son vivant je veux dire. Ça commence comment? Il dit «tout avait commencé par un baiser puant. Baiser de malheur. Nous avons eu tort, nous à qui l’histoire a piqué 5 siècles.» Il commence comme ça. Dans Les Yeux du volcan, comment il commence? Il dit «C’était le vendredi de machin, quand le colosse arriva sur son cheval dans la ville des crânes…» ben oui, c’est là que c’est parti «quand le colosse a débarqué sur son cheval dans la ville des crânes tout était foutu», comme quand je dis dans Le Socle des vertiges en disant «tout avait mal commencé quand Diego a débarqué de son bateau c’était foutu». Ne cherche pas d’explication c’est foutu. Fallait pas qu’il débarque du haut de son bateau. Dès qu’il a débarqué du haut de son bateau c’était foutu. A partir de là on ne peut plus rien comprendre. Les choses sont devenues sens dessus dessous. Il n’y a plus à expliquer mais c’est mal parti comment est-ce qu’il y a un endroit qu’on a pas bien compris… Non! C’est quand le bateau de Diego Kawa a fait POUM, il n’y a aura plus d’explication, il n’y aura plus rien. Toutes les œuvres de Sony, tu l’as depuis le début. Tu comprends très bien que le gars il est dans son laboratoire, il recrée le monde. À partir de son laboratoire. Et sur l’histoire de l’envers, de l’arbitre qui siffle à l’envers, il le dit dans la préface de La Vie et demie, ça s’appelle écrire par étourderie. Moi qui vous parle de l’absurdité de l’absurde, d’où voulez-vous que je vous parle sinon du dedans de moi-même?». Du dedans. Il crée son laboratoire à l’intérieur de ses couilles, de ses tripes, il se crée sa petite maison à l’intérieur, il invente ses pénicillines. Et donc c’est par étourderie qu’on doit le comprendre. Parce que c’est un ancien fou. Il siffle à l’envers. Là où il ne faut pas siffler pénalty, il siffle pénalty. Quand vous dites que le match est fini, il dit «Non! Le match commence maintenant». Quand vous jouez il dit «Ah non! Vous êtes sérieux». Quand vous êtes sérieux, il dit «Ah ben non, là vous jouez!».
Criss Niangouna Je ne suis pas un bon dessinateur. Mais s’il faut représenter SLT par un dessin, je dirai que: Sony est une forme géométrique, avec des angles droits. Je dis des angles droits pour montrer la justesse, l’exigence mais aussi l’humilité qui a caractérisé sa courte vie. J’ai aussi envie d’ajouter, que c’est la clairière de notre forêt encore vierge qui apporte la lumière qui nous est nécessaire. Tout son travail a consisté, non pas à nous raconter des histoires à dormir debout, mais bien au contraire à nous tirer vers le haut. Nous sortir de la bêtise humaine.
Maintenant que j’en ai fait la description, je vous laisse dessiner.
Témoignages recueillis par l’équipe des Bruits de Mantsina.
Les 27 metteurs en scène et chorégraphes qui ont marqué Mantsina Sony sur scène 2015:
Francois Kah / Julien Mabiala Bissila / Papythio Matoudidi / Cédric Brossard / Michael Disanka / Gilfery Ngambalou / Delavallet Bidiefono / Jean-Claude Kodia / Alphonse Mafoua / Georges Mboussi / Jehf Biyeri / Israël Tshipamba / Cheriff Bakala / Maylis Bouffartigue / Harvey Massamba / Hervé Massamba / Céline Astrié / Monar Dihoulou / Marion Alzieu / Boréale Pongopo / Arnaud Mahoukou / Ella Nganga / Gervais Tomadiatunga Mbanza / Chikadora / Aïpeur Devry Foundou / Julie Peghini / Daniel Scahaise
Quelques interprètes majeurs cités ici pour leurs performances:
Snak Zobel Raoual / Etienne Minoungou / Kader Lassina Touré / Michaël Disanka / Marion Alzieu / Jeanne Videau / Sébastien Bouhana / Christiana Tabaro / Natalia Deparlabas / Nolwenn Peterschmitt / Cognes Mayekou / Alphonse Mafoua / Georgette Kouatila / Mbelo Milandou / Ella Nganga / Francois Kah / Marie-Charlotte Biais / Nicolas Moumbounou / Jehf Biyeri / Pierre Claver Mabiala / Harvey Massamba / Boréale Pongopo / Cheriff Bakala / Armel Malonga / Chikadora / Pidj Boomboomdistortion / I Jah man (respect!)
Ceux qui traversé le festival à bras le texte (lecteurs): Hervé Massamba / Sorel Boulingui / Audifax Moumpossa / Richilvie Babela Ndossi / Martin Ambara / Thales Zokene et la troupe Sac / Laetitia Ajanohun / Cyril Gueï / Ulrich N’Toyo / Sylvie Dyclo Pomos / Arsène Kimbebe / Fortune Bateza / Hermine Yollo
Les plasticiens des ateliers SAHM de Bill Kouélany (pour l’expo Sony): Jordy Kissymoussa / Van Andrea / Artmel Mouy / Paul Alden M’Vout / Gad le beau / Girel Nganga / Francis Kodia / Mantvany / Monroyal / Jordy Aimebeej’air / Anne Garnier / Elwin Gomo / Olmiche Bantsimba.
Ceux qui nous ont parlé en images (réalisateurs): Oury Ochy Kozia / Guy Des Lauriers / Grégory Hiétin / Laetitia Biaggi / Julie Peghini / Marie Carette / Sylvia Voser / Thierry Thomas / Andre S. Labarthe
Les directeurs d’ateliers (jeu d’acteur, mise en scène, vidéo): Claude Bagoë Diane / Mathieu Montanier / Fabrice Gorgerat / Jean-Paul Delore
Les courageux (techniciens et scénographe du festival): Cleo Konongo / Papythio Matoudidi / Vady Kouloutch / I Jah man / David Malonga / Bouesso Donald
Les Mantsinistes non alignés (équipe choc): Diane Chavelet / Amélie Thérésine / Nicolas Martin Granel
Enfin les trois femmes fortes: Sylvie Dyclo Pomos / Noëlle Ntiesse-Kibounou / Nadège Samba.
Bravos à tous! Bravos! Bravos! Bravos! Vous êtes dingues, vous m’arrachez des larmes! je vous aime. Comment il disait ça déjà, Sony?
«Qu’ils sont beaux ces fils de la colère! Un océan de mains levées qui dévaste tout. Quelle magie mes aïeux! Ils viennent de partout. Ils vont accrocher un autre soleil au ciel. Ils dévissent l’histoire. Le peuple est vivant. Un vrai déluge de mains levées. Qui broutent l’air et l’oxygène. En quel monde sommes-nous entrés ce matin, dites-moi? Le soleil est tout d’un bleu et la lune rougeoie comme un visage. Oh mon peuple. Tu es toujours si beau quand tu craches. Quand tu sors gros ton désir de cambrioler l’avenir. J’ai toujours rêvé de cet ouragan de mains tendues. Ce cyclone de bras levés pour agiter la fosse commune et la tendresse du pourrissement. Je vois. J’entends rayonner. Le jour me prend à la gorge. Je lance mon sang à la rencontre de tous les bégaiements.»
Vhan Dombo Ce qui m’inspire chez lui, c’est le choix de l’infraction littéraire et la démarche constante de la révolte! L’acceptation de l’envers des mots pour miroiter la vie dans sa grande stature. L’aggravation de sa plume dans la peinture des situations imaginaires pour rendre plus visible la mocheté de la vie est une voie que j’aime emprunter en tant qu’artiste quand il y a pénurie d’inspiration! Partir d’un fait minime pour zoomer le monde qui s’y cache. Tel est le cas dans Les sept solitudes de Lorsa Lopez, roman déclenché par le constat de l’abandon d’un cadavre devant l’hôpital de Makélékélé! En tant qu’auteur africain, il nous est toujours embarrassant de faire la part des choses dans un métissage culturel qui nous fait entendre la voix de la langue maternelle et celle de la langue d’apprentissage. Qui dit langue dit une culture, une civilisation, bref une histoire. Donc nous sommes à califourchon entre culture de base et celle des bancs d’école. Et d’ailleurs Sony Laboutansi en a su quelque chose: il l’a connue, lui, l’époque du Symbole.
Il y a toujours ce grand combat que nous devons mener avant de cracher la résultante de notre culture hétéroclite!
Et Sony Laboutansi me fait planer quand je me rends compte qu’on peut valoriser sa culture de base dans la langue de l’autre! C’est génial comme concept! Il ne s’agit pas de l’alphabet ni du calcul mental d’une langue mais de son for intérieur qui fait la sagesse des vieux traditionalistes. De toutes façons, la langue française m’a toujours fait tourner la tête dans l’apprentissage de ses règles et exceptions alors pourquoi ne devrais-je pas à mon tour retourner la mâchoire de cette langue française à la manière de Sony Laboutansi qui la colonisa!
Harvey Massamba Sa manière de faire travailler les mots, son imagination débordante. Chaque fois que je lis une œuvre de Sony, je me dis putain, où est ce qu’il va chercher ça…
Abdon Fortuné Koumbha Je n’ai pas souvenir de m’être réellement référé à Sony. J’ai suivi mon propre parcours, ma propre démarche artistique accompagné par Jean Jules Koukou. Mais avec Sony est arrivé le rêve de Limoges. L’occasion d’être entendu aussi ailleurs, d’échanger, de créer des ponts, des possibles.
Jean-Paul Delore La confrérie du doute, de remettre en question les évidences tout le temps.
Étienne Minoungou Son obsession du devenir de l’homme et de tous les hommes, et sa franchise à nommer les choses telles qu’en tant que poète, il les voit et les sent. Ce devoir de franchise est en soi une méthode pour éprouver notre capacité, notre faculté à lire le monde et sa respiration. Sans cela, notre témoignage ne vaut rien.
Kouam Tawa Son désir constant de nommer. En tant qu’écrivain, dit-il à Ifé Orisha, mon travail consiste à nommer. Nommer la peur, nommer la honte, nommer l’espoir pourquoi pas? Et je crois que dans tout ce que j’ai écrit, j’ai nommé.
Papythio Matoudidi Big up à Dieudonné. Je dirai FERVEUR, je dirai aussi NE LÂCHE RIEN, le COURAGE, une manière de faire congolaise en plus, une pensée du cœur et une force aussi du cœur. Et j’ai toujours le souvenir quand Dido rentre avec Vincent Baudriller, qui arrive qui dit «Mais vous avez rien! Et vous faites du théâtre ici quand même, avec rien vous faites toutes ces merveilles.» Et ça, ça m’avait donné un grand espoir. Un grand espoir de bien croire à ce qu’on fait. C’est avec hargne aussi qu’on le fait, c’est un acte pour exister, un «acte de respirer» comme le dit Sony, c’est comme ça qu’on met du sens. Je regardais beaucoup de théâtre, je n’avais jamais vu de théâtre de Sony, c’est en regardant ces documentaires et les revues qui parlaient de Sony… C’est quand je suis arrivé dans le théâtre de certains metteurs en scène congolais, et aussi internationaux, qu’ils m’ont donné l’occasion de découvrir ce que c’était. Je me suis mis là-dedans, et puis avec ce soi-disant théâtre africain, en fait qui est pour moi notre quotidien. Déjà du fait que quand tu te lèves au Congo un matin, tu as quand même une mise en scène naturelle: tu es réveillé par le bruit des balais, d’abord les oiseaux qui chantent. Si tu as l’occasion, comme j’ai grandi au bord du fleuve, de voir le lever du soleil un matin à Brazzaville, c’est de l’art, c’est du théâtre, c’est comme la lumière dans un spectacle comme elle apparaît, et puis la vie qui commence. Les voisins qui se parlent. Il y a ceux qui balaient le matin, leur cour et puis la devanture de leur cour, c’est une espèce de paysage, de spectacle comme ça. Les gens, comment ils se rencontrent, comment ils vaquent à leurs occupations, comment ils se retrouvent autour d’une bière, à raconter des histoires…
Pour moi c’est ça le théâtre, cette vie du quotidien, parler de nous, de cette culture, dans le sens qu’on a, ce qui fait notre identité.
Ici [en France] on est des étrangers, du coup c’est pas évident… Ici on ne te connaît pas. Être chez soi et ailleurs c’est deux choses différentes. Chez toi tu n’es pas étranger et quand tu vas ailleurs tu es étranger comme moi je le suis ici, il y a des manières, des choses que tu apprends… Avec ce que toi tu as de chez toi, avec ce que tu apprends des autres, tu le combines, ça te fait une force. Je suis arrivé en France par le théâtre, et je continue à faire du théâtre, et pour moi, la vie est une mise en scène, de Dieu. Et toi même tu es acteur. Souvent chez nous quand on a ramené des potes qui sont venus travailler avec nous à Brazzaville: «Oh c’est impressionnant… c’est poétique». Et tu lis ça à travers les lignes de Sony quand il explique d’où il vient, quand il raconte son histoire, c’est comme un spectacle… C’est magnifique, c’est beau, il faut le vivre. L’expliquer? Je crois que les mots de la terre ne suffisent pas à exprimer l’émotion qu’il peut y avoir dans le vécu de l’être. En beauté, en harmonie. Les mots ne suffisent pas. Là-dedans il doit y avoir des mots [maux?], des choses, et… C’est comme on peut dire «penser, dire et faire», qui sont des mots qui expliquent pratiquement la trilogie de l’être.
Papythio Matoudidi
Je vais revenir à Sony. Cette poésie quand il dit qu’il fait «l’amour aux mots, que les mots lui demandent du boulot», les mots sont aussi cette parole, la force de (parce qu’on est des croyants au Congo) la force d’être, de donner vie. Parce que ce sont ces mots que tu sors qui sont ceux qui bénissent, ce sont que tu sors qui peuvent maudire aussi. Cette croyance a été transmise de nos parents jusqu’à nous. Cette croyance qui dit que la vie est dans ces mots qu’on dit, dans les chansons que nous chantons, les mots de plaisir, de comment on se rencontre, comment on se dit bonjour, comment… Quand tu vas à Brazzaville tu vis ça. Dans les rues. Partout. Les gens n’ont du sens que quand ils peuvent être ensemble. Sans écart de langage. Je retrouve ça dans Sony, c’est pour ça que je veux continuer à essayer de comprendre ce qu’il disait de plus profond, parce qu’il parle aussi en paraboles. Parce que nous aussi dans la culture une parole dite en paraboles peut avoir dix millions de manières d’être comprises. Ce sont des espèces de codes que nos parents nous donnent même dans notre éducation. Tu trouves des expressions où quelqu’un n’est pas d’accord, mais dans la parole qu’il te tend il dit qu’il est d’accord, et c’est à toi de déchiffrer que dans le vrai sens, il ne l’est pas. Ça, ça existe beaucoup chez nous. Souvent dans nos familles, tu allais passer des vacances, quand ça c’était mal passé avec telle famille ou telle famille, les gens vont continuer à se parler. Il faut se parler. C’est ça qui est important. Et les gens se parlent même quand ils se détestent au fond de leur cœur. Moi avec untel on ne peut plus être en bon terme, mais rien ne manque qu’on se serre la main, qu’on se dise des choses, qu’on parle. Qu’on parle. Moi j’aime pas la guerre. Elle est tout venue foutre en l’air. Nous, dans les villages il y avait les Mbongui, lieu de rassemblement pour écouter la parole des sages, les paroles se transmettaient par l’oral. C’est bien qu’il y ait maintenant des gens pour les écrire. Comme des Sony. Comme des Dieudonné, des Sylvain Bemba, tous ces auteurs congolais… Moi j’aimerai bien écrire un jour. Écrire ce que je pense de la vie. Écrire qui je suis. C’est comme ça que ça aura du sens. C’est quand on ne mettra pas la ponctuation d’arrêter la vie, mais cette ponctuation de continuer la vie.
Rufin Mbou Mikima Sony était un artiste engagé et engageant. C’est de cette manière que je veux continuer à faire mes films.
Marcel Mankita Une très grande rigueur de même qu’une très grande exigence ne laissant aucune place à la paresse. Dans une grande partie de l’Afrique, ces qualités ne se rencontrent pas à tout bout de champ.
Dieudonné Niangouna Laquelle de démarches? Il y a en a eu plusieurs. Je ne sais pas si c’est en tant qu’auteur, en tant directeur de troupe de théâtre, en tant qu’homme politique… La démarche de Sony, il a des démarches. Même si toutes ces démarches sont une seule chose à l’intérieur de la personne, c’est quand on parle de la personne on voit la personne Sony, donc évidemment il a une démarche qui s’explique comme tout le monde, en beaucoup de diverses expressions.
Moi je crois que le fait que Sony ait écrit et qu’il ait mis en scène et qu’il ait parlé et qu’il ait enseigné, je trouve que c’est un «super complet».
C’est «super complet» avec chaussures chemise veste et pantalon et chapeau, tu vois non? Je veux dire ça fait pas il portait un pull, puis après en bas il est à poil et il porte des chaussures non, non. Il a le pantalon, les chaussures, le t-shirt… C’est le «complet». Et je crois que c’est cette chose là, pas que j’ai voulu être, mais que de toutes façons je ne pouvais que être, même si je n’avais pas le «complet Sony», mais que, évidemment par la rencontre de Sony, il m’a beaucoup plus réconforté à cet endroit là. C’est que le mec il était auteur, metteur en scène, comédien, enseignant, parleur, tout le blablabla. Ça ne veut pas dire que parce qu’il accumulait toutes ces choses là, il avait une valeur… Non, non. On peut faire une seule chose et être un Dieu comme Shakespeare, le problème n’est pas là. Ce que je veux dire quand je parle du «complet» de Sony qu’il avait tout ça en étant complet, c’est pas en terme de «il fait ça puis il a fait ça donc il est complet» c’est en terme de «parce qu’il faisait une seule chose». C’est que cette chose là dans sa quête, fallait qu’elle s’exprime et qu’elle s’entende. C’était une seule chose qui était «poète» c’est tout. Et c’est parce qu’il était poète qu’il a eu besoin du plateau pour qu’on entende le poète. C’est parce qu’il était poète qu’il a eu besoin d’enseigner. C’est parce qu’il était poète qu’il prenait même la parole dans les médias qu’il écrivait dans le journal la semaine pour dire «lettre ouverte au président de la République», «lettre ouverte à la France», pour dire, pour dire, pour dire. Qu’il a pris position pendant la Conférence nationale à Brazzaville, pour la loi et la démocratie.Qu’il a parlé à la Conférence nationale. Qu’il a pris position pour l’avènement de la démocratie à l’endroit purement politique. Parce qu’évidemment il est poète. Donc évidemment il ne fait pas tout ça pour dire que «tiens j’ai un boulot maintenant je vais apprendre ceci», comme on fait «je sais faire ça mais maintenant je vais prendre tel cours pour aussi apprendre ça et devenir ça…» Non, non. Je ne crois pas qu’il apprenait la mise en scène, je ne crois pas qu’il apprenait l’enseignement… Je ne crois pas qu’il dirigeait les comédiens puis après il dit «bon, j’ai dirigé les comédiens c’est une chose maintenant je vais apprendre à devenir enseignant pour aller enseigner les langues». Je crois que c’est une seule chose qu’il faisait et qu’il utilisait tous ces différents canaux là. C’est des canaux qu’il utilisait pour faire entendre la parole du poète, c’est tout. Il utilisait ces différents canaux donc il n’apprenait pas autre chose. Donc c’est une parole qui sommeille dans son bide et il se bat à vouloir la sortir. Et il y a une urgence. Et comme il y a une urgence il faut qu’il la sorte et maintenant. Et donc du coup il va utiliser tous les canaux possibles qu’il aura entre ses mains pour faire entendre cette parole-là. Et si les canaux on ne les lui donne pas il les invente. Si on ne les lui donne pas il les invente. Moi je crois que si Sony n’était pas mort, il allait même être réalisateur. Il allait même un jour prendre la caméra et réaliser le film. Ça ne serait même pas pour devenir réalisateur, ça serait pour faire entendre quelque chose qu’il a envie de dire. S’il se rend compte qu’actuellement avec l’audience, le théâtre est restreint à l’endroit de l’audience, alors il allait tourner un film. Mais pas parce qu’il doute du théâtre mais parce qu’il a besoin que ce soit entendu, genre par le plus large des gens, à ce moment là je vais faire un film. Et il allait faire un film avec La Vie et demie ou Machin la hernie, il allait le faire mais pas pour être réalisateur.
(c) Marie-Charlotte Biais
Donc c’est un désir qui vient réellement de comment accoucher quelque chose ce qui sommeille en soi, et une fois que tu l’as accouchée, comment faire évidemment pour arriver à son accomplissement. Parce que le fait de la pensée n’est encore que la matrice de dire que «j’ai pensé». Le fait de l’écrire n’est que les premiers pas de dire que «j’ai pensé». C’est à dire ça s’accomplit par une action qu’on va mener. Donc de la pensée, de la gestation, à la formation de la pensée, à son écriture, à monter sur un plateau, à le donner au spectateur puis après distraire les spectateurs, puis à enseigner à ses élèves, ce n’est que la continuation de cette affaire. C’est la continuation jusqu’à ce qu’elle s’accomplisse. Donc c’est complètement un seul canal qui continue comme ça. C’est une chose que j’ai trouvée très forte, parce qu’il ne pouvait pas s’arrêter à dire que «j’ai écrit, j’ai fait mon boulot», parce qu’il n’avait pas de boulot justement. Mais si le gars avait considéré l’écriture comme étant un boulot il pouvait dire «j’ai écrit j’ai fait mon boulot. Maintenant que les metteurs en scène fasse leur boulot, maintenant que les comédiens fassent leur boulot, maintenant que les enseignants fassent leur boulot, maintenant que les maîtres conférenciers fassent leur boulot», non, non, non. Évidemment comme ce n’était pas un boulot pour lui écrire, donc du coup il ne pouvait pas s’arrêter à écrire, il ne pouvait pas dire «j’écris c’est fini», non. Comme évidemment c’est une espèce de sacerdoce réel qu’il a à l’intérieur de lui, de quelque chose qui doit témoigner, c’était même pas l’écriture en somme qui l’intéressait, il ne faisait pas l’apologie de l’écriture. De dire qu’un auteur c’est génial, qu’il faut écrire, c’est noble et intéressant, non, non, non. C’est quelqu’un qui a quelque chose à dire. Et il trouve ce canal là. Donc c’est pas l’écriture qui l’intéressait en somme. Donc c’est pour ça que ce canal là même quand il est dedans il peut pas s’y asseoir, parce que ce n’est pas le canal qui l’intéresse. Il ne peut pas s’y asseoir. Donc c’est ce que moi j’appelle le «complet». Chemise pantalon et veste. Mais ce «complet» il n’est complet que parce que lui la personne est d’abord intègre envers sa mission à lui de dire que j’ai envie que le gamin là aille à l’école, j’ai envie que la maman là… pas que la maman vienne au théâtre, c’est pas ça son problème… Que la maman sache ou apprenne ceci. Sache dans quel état honteux on est dans ce pays, on est dans ce monde, on est dans cette Afrique, on est dans ces rapports mondiaux là. C’est ça sa question. La question n’est pas que le théâtre soit beau. Et donc le théâtre devient un endroit comme un autre de dire aux gens dans quel état on est.
Il n’était pas là pour fêter le théâtre. Ni pour célébrer le théâtre. C’est pas l’art en somme qui l’intéresse. L’art est un canal.
Et donc quand il est dans ce canal-là, il ne s’assoit pas dans ce canal-là, parce que son problème c’est pas le canal. Le canal c’est pour le conduit, c’est pour drainer l’eau, pour ça aille dans la pompe du voisin pour que ce voisin là ait l’eau quand il va ouvrir son robinet. Donc c’est ça la démarche qui m’a beaucoup intéressée chez Sony. C’est cet endroit là qui m’a appris que tu ne dois pas t’installer dans la forme, tu ne dois pas t’installer dans la fonction, parce qu’on est pas là pour la fonction justement. La fonction n’est qu’un canal.
Criss Niangouna Quand on connaît Sony, et tant soi peu son œuvre, on se rend compte qu’il témoigne du monde, de son monde, de l’autre. Et pour ce faire l’artiste doit regarder avec insistance sa société, et se poser les bonnes questions, sans artifices ni fioritures. Ça je le vois et je l’ai appris chez Sony.
Témoignages recueillis par l’équipe des Bruits de Mantsina.
Dieudonné Niangouna
«Trouvaille» c’est un peu ce que j’ai dit au début, c’est arriver à me faire dire ou à m’apprendre de manière implicite, que la parole est une action et qu’elle s’exprime en étant une seule chose, qui ait son fond et sa forme, et que le problème de la forme doit être évidemment la nappe, la couche, l’odeur réelle de ce qu’on a à raconter, ou de ce qu’on a à dire, ou de ce qu’on a à présenter. Cette forme même de la présentation de la chose, cette forme même de la présentation du langage est quelque chose qui ne doit pas être empruntée mais qui doit naître de son «pourquoi» et son «comment». Et que c’est la plus belle manière pour moi que Sony m’a appris, pour moi Sony par là il m’a appris la plus belle manière d’être au monde. C’est la plus belle manière d’être au monde.
Étienne Minoungou
Quand Sony veut nommer le travail du poète et partant de l’artiste, il parle «d’exercice de la lucidité, de pratique de la sensibilité et de la conscience…» Je n’avais pas encore rencontré une invitation aussi forte.
Vhan Dombo
Il y a la rencontre de la culture Kongo sous sa plus belle robe littéraire. Il y a la fête carnavalesque dans l’écriture de l’écrivain qui confisque la paternité de la langue. Il y a les réalités linguistiques locales dans les œuvres de l’écrivain qui témoignent de l’universalité de l’humain. Il y a la transgression des normes littéraires d’une époque qui donne naissance à l’âge contemporain. Dans les œuvres de Sony Laboutansi, je souris à certains passages de La Vie et demie quand je reconnais les mots et maux de chez moi dans les transcriptions littéraires! Il y a l’audace de tout flamber à travers deux mots et une révolte à quatre pattes qui explose dans une constance hallucinante si bien qu’on se dit après avoir fermé la dernière page: «Je sais de quel arbre, je descends»
Harvey Massamba Qui a mangé Madame d’Avoigne Bergota. Je n’ai vu que la vidéo de ce spectacle mais j’ai aimé le travail des acteurs. La puissance de la mise en scène. Tout l’univers du spectacle. C’était vraiment magique.
Abdon Fortuné Koumbha
Les trouvailles de Sony ne provoquent pas chez moi de la jubilation.
Jean-Paul Delore
Tout est jubilation chez Sony. Il parle du plaisir.
Rufin Mbou Mikima Pour Sony, nous étions tous le «nègre» de quelqu’un. Mais nous étions aussi par notre soif de solidarité des «pivinistes». Un cercle bien fermé, je suppose. J’aurais aimé en faire partie.
Kouam Tawa
La mort a capitulé devant ma délicieuse hantise de respirer. C’est l’instituteur Mallot qui le crie dans la première scène de Je soussigné cardiaque.
Papythio Matoudidi
Marie-Charlotte Biais
Jubiler? C’est comme quelque chose qui s’arrête? Non, jubiler c’est de la joie, de l’excitation, du plaisir… Jubiler… Il faut que je retrouve ça… C’est beau ce qu’il dit: «Un jour, il y en aura qui diront «je l’ai influencé», ils seront nombreux et voici ma réponse à tous ceux-là qui croient qu’ils m’ont influencé. Je dirai: «d’accord, vous m’avez influencé, mais je suis allé plus loin que vous, j’ai sauté plus haut que vous, accusez moi de cela, pas d’autre chose, autrement soyez fiers de m’avoir engendré. C’est votre droit après tout.»» Le Congo d’où l’on vient, c’est un pays… vous savez ce qu’il se passe… avec de l’oppression, totalement nés dans l’oppression, grandis dans l’oppression, avec un besoin de ce genre de parole qui nous fait lever tôt le matin, qui peut nous donner envie de se battre pour ce que l’on défend, pour ce théâtre africain là, ce théâtre congolais, ce théâtre africain à l’international, comment on doit être vus des autres, comment avoir aussi l’envie, la force, la conviction de toujours donner dans ce sens là ce qu’on a appris, ce que les grands frères nous ont appris, de ce que nous donne notre terre, notre patrie, notre Afrique-mère-terre, de ma patrie dont je suis fier. Dans le sens aussi avoir aussi de la valeur dans ce qui donne la vie, ce qui donne envie de vivre, de dire, de lire, de transcrire. C’est plein de vertus, ce genre d’écriture là… c’est comme une terre éternelle. Parce que ma terre de chez moi, c’est une terre bien «laboureuse», tout ce que tu peux planter dedans, ça te donnera toujours des fruits, des beaux légumes… Et cette écriture, elle a ça. C’est comme une terre pleine de vertus au naturel, où quand tu as planté des graines, tu reçois tout. Et moi j’ai besoin de ce Congo, de cette Afrique aussi, qui vit. Il faut que les hommes arrêtent de faire semblant… Pourtant, ils savent bien quelle est la situation, l’urgence qu’on a sur la Terre. Tout le monde se déchire, je sais pas pourquoi on se bat. Je sais pas. Ça n’a pas de sens. Il faut vivre la poésie que nous donne la vie que nous donne notre terre simplement être fier de là d’où nous venons. Là on a du sens. Faire les choses. Les faire. Les faire. Se donner un vrai sens. Cette parole j’en aurai besoin tout le temps. Depuis que je l’ai découvert, je m’en sépare plus. C’est juste, cette parole. C’est pour la lutte de l’homme pour l’homme. C’est ça qui me donne la raison de vivre. L’immortalité, de laisser des traces, ça c’est important. Ça fait 20 ans qu’il est mort, il faut que nos enfants découvrent ça, connaissent cette parole. Et on a compris des choses. Des choses. Des choses. De ce sens qu’on a. Du fleuve Congo. Qui coule en nous.
Marcel Mankita
Ce qui me fait jubiler chez lui, ce n’est pas quelque trouvaille que ce soit, mais son imagination fertile.
Criss Niangouna
La première des choses qui intrigue chez Sony (à mon sens) c’est d’abord les titres de ses romans ou de ses pièces théâtres. Je peux vous citer quelques exemples: La Vie et demie, L’État honteux, Qui a mangé madame d’avoine berghota, Je soussigné cardiaque, Les Yeux du volcan… Tous ces titres sont percutants, longuement réfléchis. Ils donnent le ton, la dimension de l’œuvre et aussi celle de l’homme. Ce sont des titres qui vous obligent à vous arrêter. R
ien n’est fait au hasard avec Sony. Par ailleurs, Sony a fait un travail sur la langue française incroyable. Il rentre dans la langue française avec tous ces codes, y fout un bordel, la réorganise. Beaucoup d’écrivains africains reconnaissent qu’il a décomplexé cette langue. Il a été un des premiers, sinon le premier à casser les barrières imposées par cette langue, pour se l’approprier. Là est sa force. Comme le dit si bien Emmanuel Dongala: «Sony nous a appris à faire l’amour avec les mots autrement que dans la légendaire position du missionnaire». C’est avec Sony à mon sens que commence notre théâtre contemporain. C’est notre Beckett, plus que Beckett, notre Koltès, au-delà de Koltès.
Et vous, quelle trouvaille de Sony vous fait jubiler? Répondez dans les commentaires!
Témoignages recueillis par l’équipe des Bruits de Mantsina.
Harvey Massamba Il y a une phrase de Sony qui me hante toujours depuis cette époque. Elle est dans sa lettre ouverte à l’humanité. «Notre siècle produit plus de nourriture mais plus de gens y meurent de faim…»
Jean-Paul Delore «Nous sommes les locataires de la langue française»: c’est tellement intelligent et drôle, il nous met au bon endroit, là où on devrait être en tant qu’individus et artistes par rapport à la langue et la culture.
Étienne Minoungou La pensée de Sony est vraiment «contagieuse». J’ai beaucoup de choses qui me passent dans le coeur et dans l’esprit… Mais c’est l’actualité au Burkina Faso autour des procédures judiciaires et les inculpations des présumés coupables et commanditaires de l’assassinat de Thomas Sankara qui me font penser à une phrase prophétique de Sony: «Sankara est mort. QUI peut tuer LA FULGURANCE? Pauvres bêtes, vous vous êtes trompés d’assassinat la mort vous en voudra de la prendre pour une conne.» C’est éblouissant!!!
Rufin Mbou Mikima
Une fois qu’on a entendu ou lu les mots de Sony, ils nous habitent comme un feu qui brûle éternellement. La situation qui correspond à mon état d’esprit actuel et à mon mal-être par rapport au Congo et à l’Afrique est: «Je mourrai vivant».
Rufin Mbou Mikima
Kouam Tawa «Le salut a cessé d’être individuel: on ne peut plus tuer Carthage pour sauver Rome, il faut raisonner à partir du fait qu’aujourd’hui Rome peut mourir des blessures, par elle faites à Carthage.» (Il l’a dit dans son intervention au symposium sur la littérature africaine qui a eu lieu lors de la Foire du livre de Francfort de 1980.)
Papythio Matoudidi «Pour la lutte de l’homme jusqu’à l’homme» dans une lettre à Edouard Maunik dans L’Acte de respirer. C’est pour les hommes, les êtres, les humains, que la terre continue à vivre, pour moi c’est une vision très large du monde, qui met un espoir. Parce que ce n’est pas tout le monde qui parle des autres, qui pense aux autres, qui dit des choses pour les autres, qui écrit. C’est une forme de militantisme. Un genre de protection, de combattant, de révolutionnaire. J’ai entendu parler de lui, même dans les quartiers, de ce sur quoi il écrivait, c’était quelqu’un de très inspiré, un prophète quoi, c’est de la prophétie. C’est ça qui me donne la valeur. Et que je trouve juste. C’est pour ça que je soutiens cette parole. Je vis avec, je marche avec, je me promène avec, je respire ça. C’est une vraie idéologie. De l’espoir… C’est un autre Pierre Rabhi. Mais à la Congolaise.
Marcel Mankita Je n’ai pas lu tout Sony (par exemple, jamais réussi à aller au bout de La Vie et demie). Mais je sais que celui qui aura beaucoup lu Sony, sera habité par plus qu’une citation. Une des citations que je crois ne plus avoir textuellement et dont je ne vais donner ici que l’esprit, c’est: «La civilisation ne se mesure pas à la quantité de tonnes de ferraille que l’on déverse sur l’humanité». En tout cas, en voici une autre que je retranscris textuellement: «Dans la pratique de l’existence, ce sont les couilles et le ventre qui bougent avant tout le reste du corps». Cf L’Autre monde
Dieudonné Niangouna Toutes. Non mais toutes. Toutes celles que je connais. J’en ai pas de meilleure plus qu’une autre. Je vais commencer par «repousser à plus tard la mort de la vie» «forcer la vie à être»… Tout ce que tu veux c’est… c’est… «je ne suis pas à développer mais à prendre ou à laisser», «l’Afrique n’est pas mal partie, l’Afrique n’est jamais partie» «l’être humain est trop beau pour qu’on le néglige» «je suis intentionnellement humain», j’en ai pas une que je peux dire la meilleure, «ça c’est celle qui m’habite». Par exemple comment j’ouvre à chaque fois Mantsina depuis 10 ans, je dis toujours «Sommes-nous sortis du monde Riforoni?». C’est même pas une citation de Sony, c’est la première tirade de sa pièce Antoine m’a vendu son destin, la première tirade du personnage d’Antoine qui est avec son garde du corps à côté – avec son ministre tout ce que tu veux – ils font silence, ils se concentrent et il lui dit «sommes-nous sortis du monde Riforoni?» et Riforoni lui répond «nous en sommes sortis votre Altesse» «sommes nous les derniers du monde? Seules nos respirations nous écoutent, nous sommes seuls.» «Alors lis la déclaration que le peuple va lire…»Cette phrase là «Sommes-nous sortis…», ce n’est pas une citation, ça n’a rien d’une citation. C’est une phrase c’est même une question qu’il pose à quelqu’un «Est-ce qu’on est sorti du monde?» Est-ce qu’on est sorti de la crise? Tout le blabla… Mais cette phrase-là qui n’a rien d’une citation, pour moi ça a une valeur incroyable mais je ne la mets pas en comparaison avec les citations. C’est pour dire qu’une phrase de Sony peut complètement m’habiter, mais pourtant ce n’est pas une phrase qui est toute proverbiale, avec des guillemets. C’est une question qu’il pose mais qui était juste une question qui est complètement dans un dialogue, de manière terre à terre. Mais comment moi dans ma tête, cette question-là qui était une question terre à terre, moi dans ma tête ce que ça provoque en moi, c’est que je ne m’arrête pas au fait qu’il a posé une question à Riforoni, moi ça me pose d’autres questions à moi… Est-ce qu’aujourd’hui on est sorti de la gabegie? Est-ce qu’on est sorti de la léthargie? Quand je joue Mantsina et que je dis «Sommes-nous sortis du monde?» C’est que moi je déplace cette phrase-là du contexte dans lequel Sony la met dans Antoine m’a vendu son destin, j’enlève le contexte, que c’est Antoine qui le dit et qui dit à Riforoni «Et-ce que le peuple est prêt pour qu’on parle? Est-ce que le jour s’est levé?» Je l’enlève du contexte de cette pièce là. Je prends juste cette phrase là. Je la décontextualise complètement, et cette phrase-là elle tient en elle-même. Même enlevée de son contexte de la pièce et de sa situation théâtrale.
Abdon Fortuné Koumbha En tant que conteur, acteur, homme de parole, la citation que j’emporte avec moi est celle-ci: «Les mots me charment Me font signe Et demandent que je leur trouve Du travail».
Criss Niangouna
Criss Niangouna Beaucoup de choses comme beaucoup de citations de Sony m’habitent en permanence. Il me faut faire le choix. Alors j’en choisi deux. Dans Les Yeux du volcan, Sony dit: «Il y a des cadavres que l’histoire ne saura enterrer». Cette maxime dit tout de l’homme Sony encore aujourd’hui. En ce sens son œuvre a encore un impact majeur 20 ans après sa mort. Donnez un livre de Sony à quelqu’un qui ne le connaissait pas. Après lecture, il est plus que probable qu’il rentre dans le club de cet auteur. Une deuxième citation à propos de la langue française et qui explique toute sa force: «J’écris en français parce que c’est dans cette langue-là que le peuple dont je témoigne a été violé. C’est dans cette langue que moi-même j’ai été violé. Je me souviens de ma virginité. Et mes rapports avec la langue française sont des rapports de forces majeures… Nous sommes les locataires de la langue française. Nous payons régulièrement notre loyer. Mieux même, nous contribuons aux travaux d’aménagement de la baraque. Nous sommes en partance pour aventure de co-propriété…» . Une petite pour finir, elle parle de l’écriture: «Ecrire c’est légitimer ce que l’histoire bâtardise. Tout bon écrivain devrait être pris pour un conseiller technique de l’histoire. Parce qu’il sait servir le double pouvoir du doute et de l’affirmation…»
Et vous, quelle citation de Sony vous habite? Répondez dans les commentaires