Les 27 metteurs en scène et chorégraphes qui ont marqué Mantsina Sony sur scène 2015:
Francois Kah / Julien Mabiala Bissila / Papythio Matoudidi / Cédric Brossard / Michael Disanka / Gilfery Ngambalou / Delavallet Bidiefono / Jean-Claude Kodia / Alphonse Mafoua / Georges Mboussi / Jehf Biyeri / Israël Tshipamba / Cheriff Bakala / Maylis Bouffartigue / Harvey Massamba / Hervé Massamba / Céline Astrié / Monar Dihoulou / Marion Alzieu / Boréale Pongopo / Arnaud Mahoukou / Ella Nganga / Gervais Tomadiatunga Mbanza / Chikadora / Aïpeur Devry Foundou / Julie Peghini / Daniel Scahaise
Quelques interprètes majeurs cités ici pour leurs performances:
Snak Zobel Raoual / Etienne Minoungou / Kader Lassina Touré / Michaël Disanka / Marion Alzieu / Jeanne Videau / Sébastien Bouhana / Christiana Tabaro / Natalia Deparlabas / Nolwenn Peterschmitt / Cognes Mayekou / Alphonse Mafoua / Georgette Kouatila / Mbelo Milandou / Ella Nganga / Francois Kah / Marie-Charlotte Biais / Nicolas Moumbounou / Jehf Biyeri / Pierre Claver Mabiala / Harvey Massamba / Boréale Pongopo / Cheriff Bakala / Armel Malonga / Chikadora / Pidj Boomboomdistortion / I Jah man (respect!)
Ceux qui traversé le festival à bras le texte (lecteurs): Hervé Massamba / Sorel Boulingui / Audifax Moumpossa / Richilvie Babela Ndossi / Martin Ambara / Thales Zokene et la troupe Sac / Laetitia Ajanohun / Cyril Gueï / Ulrich N’Toyo / Sylvie Dyclo Pomos / Arsène Kimbebe / Fortune Bateza / Hermine Yollo
Les plasticiens des ateliers SAHM de Bill Kouélany (pour l’expo Sony): Jordy Kissymoussa / Van Andrea / Artmel Mouy / Paul Alden M’Vout / Gad le beau / Girel Nganga / Francis Kodia / Mantvany / Monroyal / Jordy Aimebeej’air / Anne Garnier / Elwin Gomo / Olmiche Bantsimba.
Ceux qui nous ont parlé en images (réalisateurs): Oury Ochy Kozia / Guy Des Lauriers / Grégory Hiétin / Laetitia Biaggi / Julie Peghini / Marie Carette / Sylvia Voser / Thierry Thomas / Andre S. Labarthe
Les directeurs d’ateliers (jeu d’acteur, mise en scène, vidéo): Claude Bagoë Diane / Mathieu Montanier / Fabrice Gorgerat / Jean-Paul Delore
Les courageux (techniciens et scénographe du festival): Cleo Konongo / Papythio Matoudidi / Vady Kouloutch / I Jah man / David Malonga / Bouesso Donald
Les Mantsinistes non alignés (équipe choc): Diane Chavelet / Amélie Thérésine / Nicolas Martin Granel
Enfin les trois femmes fortes: Sylvie Dyclo Pomos / Noëlle Ntiesse-Kibounou / Nadège Samba.
Bravos à tous! Bravos! Bravos! Bravos! Vous êtes dingues, vous m’arrachez des larmes! je vous aime. Comment il disait ça déjà, Sony?
«Qu’ils sont beaux ces fils de la colère! Un océan de mains levées qui dévaste tout. Quelle magie mes aïeux! Ils viennent de partout. Ils vont accrocher un autre soleil au ciel. Ils dévissent l’histoire. Le peuple est vivant. Un vrai déluge de mains levées. Qui broutent l’air et l’oxygène. En quel monde sommes-nous entrés ce matin, dites-moi? Le soleil est tout d’un bleu et la lune rougeoie comme un visage. Oh mon peuple. Tu es toujours si beau quand tu craches. Quand tu sors gros ton désir de cambrioler l’avenir. J’ai toujours rêvé de cet ouragan de mains tendues. Ce cyclone de bras levés pour agiter la fosse commune et la tendresse du pourrissement. Je vois. J’entends rayonner. Le jour me prend à la gorge. Je lance mon sang à la rencontre de tous les bégaiements.»
Martin Ambara – artiste associé de cette douzième édition Mantsina Sony sur scène 2015. Auteur – metteur en scène de Black Django (Cameroun) «Nous créons en Afrique et savons ce que c’est que créer en Afrique […] Le panafricanisme culturel ne doit pas rester des mots. La révolution dans les cours me semble une trouvaille à ne pas lâcher… Il faut au contraire la renouveler et penser ce que je crois être fondamental: à chaque spectacle sa cour. Ainsi chaque spectacle pourrait jouer aussi longtemps que possible parce que côté public, on ne manque plus de rien. On est plutôt gâtés. Alors imagine que le spectacle reste là pour trois semaines, tous les quartiers environnant viendraient regarder! Ceci est une expérience qui dit et révèle un fait: le théâtre doit rentrer vers le public et déserter les salles. Et c’est notre Job de trouver comment! Et je crois que Mantsina est sur la juste piste… Mais je le répète et je reprends tes mots: «faire du théâtre en Afrique c’est fighter…» Alors jusqu’à la mort on fightera afin que ce métier renaisse de ses cendres si tel est qu’il est mort… MAIS JE NE LE CROIS PAS, le théâtre n’est pas mort. Il est en phase de GERMINATION. MERCI pour tout et à tout le temps et à tous temps. »
L’espace carrefour, où se discutent tous les matins les spectacles de la veille
Le directeur du Théâtre Vidy-Lausanne de Suisse, Vincent Baudriller (France), ancien directeur du festival d’Avignon. En quittant Brazza depuis l’aéroport Maya Maya: « Je suis un habitué de Mantsina, et je vois très bien l’évolution en tous les points, comment les choses prennent de plus en plus de formes et deviennent encore plus fortes et arrivent à emporter les gens dans une réelle relation de dialogue entre œuvre et spectateurs, et comment les artistes s’inscrivent dans une réelle démarche active de la société. Et ça c’est quelque chose de très fondamental qui est gagné à Mantsina. C’est une conscience d’artiste en rapport avec son environnement politique, culturel, social, économique… J’ai passé des moment très intéressants avec Delavallet Bidiefono dans son espace Baning’Art, son école de danse, à Kombé, et je vois avec tous les projets qu’il met en place, c’est très intelligent… Le fait de ramener les spectacles, les lectures, les projections, les performances, les concerts, dans les quartiers, les cités, les cours de maisons, les rues, ça solidifie la relation avec le public, ce sont des acquis majeurs. La performance de Snak Zobel du Cameroun est un moment fort puissant, la lecture du dernier texte de Sylvie Dyclo-Pomos Le Verso-Recto est d’une intensité poétique… Le jeune comédien de la RDC, Michael Disanka avec son spectacle sur le texte de Koffi Kwahulé Village fou… Et bien évidemment les rencontres le matin à l’espace Mantsina autour des spectacles de la veille et avec les questions de comment faire ici et maintenant… C’est bien ce qui constitue toute la recherche, l’interrogation et le partage. Il y a une vraie présence de travail auprès de l’équipe d’organisation: Noëlle Ntiiéssé Bibounou, Sylvie Dyclo-Pomos, Cléo Konongo et Papythio Matoudidi qui autour de ton énergie [Dieudonné Niangouna] apportent un dynamisme qui fait que le relai existe… Et la relève est là. »
Christiana Tabaro (RDC) – comédienne dans Parole de Femme. «Des belles rencontres à Mantsina Sony sur scène. Merci Dieudonné Niangouna pour ce grand moment de partage!»
Christiana Tabaro
Christiana Tabaro
L’auteure – metteure en scène – comédienne Céline Astrié (France). En quittant Brazza: « On a compris (enfin un peu j’espère) pas mal de choses (sur la situation de crise au Congo) à travers cette participation à Mantsina. Très belles rencontres, avec les habitants, les enfants, du fait d’avoir jouer dans leurs cours… »
Le metteur en scène et directeur de l’atelier Mise en scène à Mantsina, Fabrice Gorgerat (Suisse), depuis l’aéroport Maya Maya en quittant Brazza: « Sacré boulot! Je dis chapeau au festival! Suis en forme! Très chouette énergie! Une belle vitalité! C’était cool! Punk! Osé! Très affirmé! Et des moments magiques comme LA NUIT SONY ou le spectacle déambulatoire de Papythio Matoudidi, Sony sur la Route qui a duré trois heures à travers les rues de Makélékélé en commençant par le marché Bourreau pour finir au bord du fleuve à regarder le Congo à la tombée de la nuit… Magic! Plein de truc. Et l’atelier de mise en scène que j’ai animé c’était super! Ils chopent vite, ces petits, et sont très réactifs, surtout Arthur, pas Batoumeni mais un petit qui s’appelle Arthur aussi, et le petit Clément, et l’autre aussi, Bertrand, oui, ils seront des bons s’ils continuent comme ça. C’est une belle pépinière. Et c’est clair que je vais revenir pour continuer, suis rechargé là, ça fait trop du bien. C’est cool »
L’auteur – metteur en scène – comédien et directeur de l’atelier Jeu d’acteur à Mantsina, Jean-Paul Delore (France). En quittant Brazza: « C’est vachement audacieux! Et c’est ça que j’adore, c’est ça qui est bien, parce que ça redonne de la vie. C’est TONIC, vraiment c’est la réponse à la question : comment inventer des espoirs, justement, et que ces derniers servent, mais pratiquement pour la maman, le gamin, la jeune fille, l’étudiante et tout… C’est vachement bien! Des fois je me dis: mais c’est complètement délirant! Mais en même temps je me dis: c’est ça qui est juste, c’est ce qu’il faut faire ici et maintenant et c’est ce que vous faites, alors on a l’impression que ça devient abstrait, et ça continue. Belle réplique à tout ce qu’on sait qui se passe… Vraiment! On s’en reparle… »
Jean-Paul Delore et Laetitia Ajanohun pendant la Nuit Sony
Laetitia Ajanohun, auteure – metteure en scène, comédienne (Belgique). En quittant Brazza: « C’est bien de voir grandir le festival avec les énergies de tous! Il y a une vraie cohésion. On sent qu’on est vraiment ensemble. C’est une sacrée édition. Et tous les jours ils se passe des choses et paf! Une claque! Et ça n’arrête pas. Et on n’est pas crevé. ça joue partout, c’est dingue! Et ça marche dans les cours de maisons, dans les rues… Le spectacle ambulatoire de Papythio Matoudidi, La Nuit Sony, le collectif Zavtra de Limoges, le spectacle de Gilfery Ngambalou sur Photo de groupe au bord du fleuve de Emmanuel Dongala, Feuilles avec Jeanne Videau et Sébastien Bouhana, Cheriff Bakala qui a mis le feu avec son Sony, la bombe à hydrogène, mes coups de coeur : Snak Zobel et Michaël Disanka… Je voudrais vraiment rester jusqu’à la fin du festival, le 30 décembre… Il y a quelque chose ici qui ne finit pas. Bravo Mantsina! C’est un beau poème, solaire, vorace en liberté. »
Snak Zobel
Maylis Bouffartigue (France) – auteure – metteure en scène de La Mise en Procès «Merci merci et merci encore pour ce Mantsina Sony sur scène 2015. Que de belles rencontres et quelle belle programmation. Merci Dieudonne Niangouna pour cette occasion de haute résistance poétique et théâtrale. Merci aussi à Sylvie Dyclo-Pomos Pomos et Noelle Ntsiessie-kibounou et toute l’équipe technique. BRAVO A TOUTES ET TOUS. Vive le beau et l’intelligent! »
La réalisatrice et directrice de l’atelier « Images, Imaginaires et Métaphores », Claude Bagoë-Diane (France). En quittant Brazza: « Mille mercis à la merveilleuse Noëlle Ntiéssé-Kibounou (administratrice du festival)… Une petite leçon de mise en scène de Fabrice Gorgerat et finir en beauté par la lecture de Verso-Recto de Sylvie Dyclo-Pomos par elle-même (et Théophane). Le bonheur je vous dis! Mantsina 2015 ça continue jusqu’au 30/12. Que ceux qui l’ont raté s’en mordent les doigts. Cette année, les Mantsinistes ont joué dans les cours pour la première fois, à recommencer absolument. Trop de choses à dire encore. Back to Paris mais mon âme est parmi vous. »
Sébastien Bouhana (France) – acteur – musicien – metteur en scène dans Feuille «Merci tout d’abord. Pour nous avoir permis de sortir du monde pendant ces quelques jours. Cette situation colle à merveille à Mantsina et à ce que son équipe dégage et partage et qui nous comble et que l’on dégage à notre tour et qu’on partage à notre tour et dont le processus, nous l’espérons, se reproduit autant de fois qu’il est reçu par les petits et grands récepteurs que sont les nous-mêmes et puis les-zautres ~ les autres nous-mêmes que sont les autres et nous-mêmes qui sommes les zautres des autres (petits ou grands) ~ tu vois? Et bien sortir semble aisé, tout est question de véhicule, nous étions bien véhiculés, d’une bicyclette nous voici conduire un bus. Alors on y fait rentrer du monde là-dedans! Du monde avec des yeux. Avec des oreilles. Avec des cordes vocales. Du beau monde, et en plus, chacun avec sa bicyclette! C’est pour dire le trafic de bus à venir! Pour l’instant la circulation semble fluide. Espérons que cela change… Chef (je me permet de te prêter ce titre qui est le tien)… tu traînais toujours quelque part. Ça se sent en chacun des Mantsinistes. La part de toi dans ce festival est incrustée en lui et en chacune des personnes de cette équipe de dingues (et les dingues ont toute ma sympathie). Les choses se passent Un chaos magnifique! On voit les personnes faire, dire et recommencer le lendemain. Malgré fatigue et difficulté C’était trop court. Tu peux au moins te rassurer et être assuré que
Les esprits des Brazzavillois sont touchés, pas coulés. Toujours touchés, jamais coulés.
Mantsina dans les cours et dans la rue, ça a un sens aussi. C’est l’un des chemins qui mènent aux salles. Il y a du soutien parmi beaucoup sur place. Qui aimeraient contribuer encore à faire exister cela. C’est une grande force latente. Nous revenons au dedans du monde Jeanne et moi, mais nous savons qu’il y a du monde à faire sortir de là et nous avons nous même respiré l’air du dehors. Et ça ça ne s’oublie pas. C’est magnifique ton pays. Les gens… Il y en a beaucoup à faire sortir, mais plein sont déjà au courant et ne demandent qu’à pousser la porte. Merci. »
Comment dire? Bordel.
Comment dire sans déraper sur de la bouillasse, hein?
Comment je dis, moi, ce «créer au Congo aujourd’hui».
Comment je le dis.
Comment dire, sans «catiser», prendre des raccourcis?
Comment dire sans se retrouver la gueule dans un trou. Les routes sont pleines de nids de poule à Brazza, et ça caquette à ras le tarmac des constitutions bâtardes pour que s’écorchent une fois encore les jambes qui battent le Plateau et les poings levés. Alors comment dire? Comment puisqu’ils écorchent et amoindrissent?
Malgré la réduction des membres, l’obstruction et l’entrave, malgré…
Depuis des temps, qui ne se racontent pas en saisons, toujours eu au moins un sans-jambe ou un sans-bras bardé de convictions pour se hisser, porter ses compagnons en-dehors de la fange et regarder la bête dans les yeux. Toujours eu.
Alors comment dire ces évidences non tracées? Car ils sont troués et ils suintent les chemins à fatiguer.
Comment dire?
Sans parler de Celui qui découpe puis assaisonne aidé par ses apprentis, ses aide-cuisiniers? Celui qui fout du pili pili dans la plaie pour que se réinfecte la douleur d’hier. Comment ne pas l’évoquer Celui-là qui saisonne? Celui-là qui récolte dans ce temps qui n’en finit pas, sans alternance possible.
Une saison qui s’étend sur plus de 30 ans, rarement vu ça. Rarement. Tu imagines la récolte? Et ça,
Et ça,
Et ça pleut et ça dégorge et ça fait danser les Rapides. Et ça noie les aujourd’hui car pas de caniveau pas de conduit, pas de rigole, Rien.
Rien pour évacuer les eaux usagées et putrides qui contaminent l’air de culture de «bas-canal» dans laquelle l’homme est résumé à être le baudet qui patauge dans la merde tout en portant sur le dos les escroqueries de Celui-là. Ses larcins, ses rapines, ses détournements, ses cambriolages, ses pillages qui font surgir les stades et les ponts suspendus, les dédicaces dithyrambiques à la sauce dombolo, à la mayonnaise franchouillarde. Et pour oindre la blague : Brazza la verdâtre, la gueule paludéenne, est édifiée ville créatrice. Et au baudet la tourbe, la vase et le limon.
Pendant ce temps dans les robinets y’a pas d’eau et danse le fleuve Congo.
Comment dire
Ça.
Ce tout «ça-là» qui ne se relate pas évidemment en deux, trois respirations sur une page.
Comment dire, hein?
Comment ils disent, eux, ces artistes congolais, comment ils disent?
Si ce n’est en mots ou en gestes défendus, à corps perdu jusqu’à se déserter le sommeil, s’oublier l’appétit, se broyer les phalanges, se crevasser les pieds.
Comment ils disent?
Et comment les dire eux: lui qui délie (Dieudonné Niangouna), elle qui dézingue le connu (Sylvie Dyclo Pomos) lui qui dévale la vallée (Delavallet Bidiefono), lui qui abonde les mots (Abdon Fortuné Koumbha), lui qui débusque les tristes augures par le rire (Ulrich N’Toyo), lui qui harangue les demains (Harvey Massamba), lui qui décape le cliché (Rufin Mbou Mikima), lui qui fait raisonner sa terre (Acramo), lui qui poétise l’inapaisé (Keyser), lui qui donne du mauvais garçon aux histoires les moins drôles (Criss Niangouna), elle qui dégoupille le bien pensé et le bien-pensant (Bill Kouélany), lui qui « jazz » sans répit les cent fois dansés et les inventés (Armel Malonga), eux qui scénographient, illuminent, sonorisent en partant de presque rien (Papythio Matoudidi et les Courageux), lui qui piétine le vide pour lui offrir l’odeur de ses godasses en chemin (Florent Mahoucou), lui qui est arrivé hier mais qui a déjà la gueule haute (Vhan Dombo) et tous les autres? Comment les dire?
Peut-être les raconter par
Les yeux de Ludo.
Peut-être.
Les yeux de Ludo dans la première scène du Socle des Vertiges [1] de Dieudonné Niangouna.
Les yeux de Ludo qui se posent, là, dans les tiens. Sans préambule, sans commentaire, comme tout juste sortis du vagin de sa mère, les yeux de Ludo dans les tiens, neufs pour toi.
Balayant à coup de cils le reflet humide de ta dernière dichotomie et l’esquisse d’une intention prochaine.
Balayant tout, se rendant neuf, te rendant neuf, le regard lavé à coup de cils, dans l’ici et maintenant.
Réinventant.
Les yeux de Ludo et puis sa bouche l’instant d’après,
Sa bouche pleine d’argile et d’empêchements.
Sa bouche
Qui articule
En se battant contre la boue et les obstacles,
Tout contre
En résistant
Pour se faire entendre.
Pour tendre vers.
Les pieds campés dans son «je» et la bouche tendue.
Tels les danseurs de Delavallet dans cet instant-là, dans Au-delà où ils articulent gueule bien ouverte avec urgence et tout en souffle, tel Armel, bassiste, sur le même plateau qui repousse à plus tard le silence, l’inertie. Ils lui ont coupé le son mais se jouent avec acharnement les dernières vibrations. Elles se jouent et se disent les ripostes présentes et prochaines, se continue la vie, son battement, sa respiration qu’on ne tait pas si facilement.
Fermez-leur la gueule à ces artistes, essayez, allez-y.
Fermez-leur la gueule, ils ne seront pas en rade, jamais en déficit d’articuler à flot tendu, en rasade les réels qui dévalent leur bide.
Fermez-leur la gueule, qu’importe, ils en ont une de rechange.
Comme me disait Abdon Fortuné Koumbha: «créer au Congo: c’est affirmer son existence, c’est subventionner soi-même des possibles, c’est transmettre (initier, former, professionnaliser) pour que l’art survive».
Créer au Congo aujourd’hui:
C’est poursuivre le Festival international Mantsina sur scène sans un sou mais avec plus d’une obsession en poche
C’est façonner Baning’Art un lieu indépendant dédié à la création artistique au Congo
C’est travailler à la formation de jeunes comédiens depuis 3 ans et avoir le projet imminent de construire une école,
C’est ouvrir son espace aux artistes tels que le font Gladys et Armel Malonga, tel que l’ont fait des années durant Abdon et les autres à l’espace Tiné,
C’est développer un festival de conte à Dolisie après l’avoir maintenu durant plus de 9 ans à Brazzaville,
C’est former un groupe de percussionnistes comme le fait Acramo avec son Musée d’Art
Et c’est sans doute bien d’autres initiatives encore qui me sont inconnues,
C’est rassembler son savoir, et ses doutes, ses trois sous gagnés en tournée ou arrachés à une fondation, un organisme ou une institution, c’est convoquer l’engagement, c’est faire circuler et accueillir les œuvres,
C’est écrire dans les recoins d’une parcelle au rythme des pannes de courant, c’est faire ses gammes et ses échauffements sous le soleil, c’est déjouer le temps et les impossibles les jours de disette, c’est bouffer sa peur et faire baver sa rage, tout en aimant encore et toujours l’animal qui fait l’homme, celui qui n’a pas honte de se mettre à nu pour que se raconte le poème, pas la fiction mais le réel de l’artiste.
C’est s’accrocher au «pivinisme» de José Pivin relaté par Sony Labou Tansi dans sa préface de La Gueule de rechange [2] : «Le “pivinisme“ qui consisteà être là, et tellement là que l’univers se voit forcé de vous rendre des comptes ; et des vrais comptes. Il consiste aussi à être non pas forcément vertueux, mais propre jusqu’à la fierté, propre par orgueil, propre jusqu’à comprendre qu’on ne mordra jamais un chien sur prétexte qu’il a commencé.»
C’est construire un foisonnement de vie au beau milieu de son apocalypse.
C’est résister.
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Laetitia Ajanohun
Article paru dans le #1 des Bruits de Mantsina
1- Ludovic Louppé. Le titre «Prière de regarder la bête dans les yeux» est une citation prise dans Le Socle des Vertiges de Dieudonné Niangouna (Les Solitaires intempestifs, 2011)
2- Sony Labou Tansi, La Chair et l’Idée (Les Solitaires intempestifs, 2015)